Une journée en montagne comme on les aimes, mais qu’on n’aimerait pas faire tous les jours ! On était parti pour une bonne galère, et on n’a pas été déçu.
- Le contexte : bonnes chutes de neige les jours précédents et météo mauvaise le jour J.
- Les ambitions : passer une bonne grosse journée en montagne.
On aurait pu se contenter de passer une journée en station à découper du sapin, mais l’envie d’aventure (et le tarif exorbitant des forfaits de ski) a pris le dessus. On s’oriente donc vers une journée de ski de rando.
Le premier défi est de trouver l’itinéraire adapté aux conditions : nivologie piégeuse de risque 3 et fort brouillard toute la journée. On cherche donc un terrain peu pentu et surtout sans pente raide surplombante que l’on ne saurait voir sur place. Après moult recherches, le plan s’oriente pour une boucle autour de Roche Parstire, dans le Beaufortin, qui coche toutes les cases.
Le départ est donné à 7h, Cédric vient nous chercher à la maison, Thomas et moi. Nous sommes 5, et nous devons faire rentrer toutes les affaires, dont les skis dans la voiture. Bon finalement, ça n’aura pas été trop compliqué, Antho n’a pas réussi a trouvé de ski adapté à ses chaussures, les siens étant en réparation et Clément n’a pas dormi de la nuit à cause d’une insomnie. On est donc 3 en direction d’Arêches. Le temps de prendre des sandwiches, de s’équiper et de faire le caca du matin à la station, on ne part pas avant 9h. On a garé la voiture en bas des pistes, là où on est censé revenir. Première constatation : la piste que l’on doit prendre à la descente est tout juste enneigée des 10cm tombés la veille, espérons qu’il n’y ait pas trop de cailloux.
On met les skis sur le sac, on traverse le joli village d’Arêches, puis on attaque la montée. La couche de neige n’étant pas très épaisse, ne voulant pas gorger nos peaux de phoque d’eau et traversant régulièrement la route, on porte les skis sur 330m de dénivelé. On s’éloigne finalement de la route et on arrive dans le pré qui mène au col justement nommé « du Pré ». On chausse les skis et on suit Cédric qui nous offre une belle trace sanglier, tout sur la deuxième cale, droit dans la pente. Heureusement que je lui ai dit d’y aller cool, ayant mal aux jambes du fractionné d’hier (merci Aymeric pour le cadeau). Jusqu’alors, nous avions profité d’une trouée dans les nuages, qui nous avait tenu hors du brouillard. Mais ce moment de répit aura été de courte durée, nous sommes désormais en plein dedans, mais étant proche des arbres et le brouillard n’étant pas si épais, on garde une visibilité correcte. Pour la vue en revanche, on repassera.
On rejoint le col, on traverse une forêt qui nous amène sous la crête sommitale. On passe une pente un peu plus raide mais peu longue qui me fera quand même sortir la poignée de l’airbag, à tout hasard, puis on se retrouve bloqué devant un petit ressaut rocheux. Rien de bien méchant en soit, mais avec le brouillard qui s’épaissit, on ne sait pas où aller. Cédric tente de le contourner par la gauche, je vois ses jambes disparaitre et je l’entends grogner ; il est tombé dans une gueule de baleine (voir définition ci-dessous), qui avait été recouverte par la neige fraiche, de la même manière qu’un pont de neige cache une crevasse sur un glacier. Heureusement celle-ci n’est pas profonde et il s’en extrait sans trop de mal. La zone de fissure de reptation s’étend sur toute la zone que l’on doit traverser, mais comme nous sommes tout en haut de la pente et que les températures sont basses en ce moment (ce qui en théorie fige la neige qui a commencé à glisser), nous nous engageons, avec prudence. L’autre solution aurait été de suivre la crête, mais qui semblait raide, peu large et avec une falaise à pic à droite. En même temps on n’y voit rien avec ce satané brouillard, peut-être que ça serait passé… On ne sait pas. En faisant la trace, Cédric déclenche une petite plaque de neige fraiche qui tombe sous ses skis ce qui ne rassure pas, mais maintenant qu’il est engagé, il faut y aller et on se retrouve finalement rapidement de nouveau sur du terrain plat. En soit, rien de bien méchant, nous savions via la carte que le passage n’est pas très exposé, mais la lecture du terrain dans un épais brouillard complexifie fortement les choses.
En nivologie, la reptation désigne le mouvement lent de l’ensemble du manteau neigeux. Il glisse doucement le long de la pente vers le bas. Ce mouvement lent est caractérisé par la création de fissures sur la totalité de l’épaisseur du manteau neigeux. Ces fissures sont aussi appelées “gueules de baleines” ou “gueules de poissons” (du fait de leurs formes). Elles sont très facile à détecter sur le terrain. Elles sont souvent suivies de plis (si zone de compression) qui peuvent attendre plus de 2 mètres de haut. Ces plis sont creux. La vitesse de déplacement est très variable, de quelques millimètres à quelques mètres par jour. Ce mouvement peut durer des jours, des mois ou même parfois pendant tout l’hiver. La fissure peut s’accélérer soudainement et donner lieu à une avalanche de glissement.
Source
Nous atteignons le sommet de Roche Parstire peu de temps après, sans encombre. Il nous aura fallu 3h pour faire seulement 1100m de D+, il faut dire que nous avons tracé dans la fraiche tout du long et que la montée est n’est pas très efficace, avec de la distance. Le vent s’est levé, glacial, venant du nord, nous nous couvrons vite et nous ne trainons pas au sommet. Cédric et Thomas s’engagent. Le brouillard est encore intense, nous restons à vue. Je fais quelques mètres, regarde derrière moi pour vérifier que je n’ai rien oublié, et surprise ! 5 personnes arrivent au sommet a ce moment. J’entends « oh mais salut Joris » ! Ah ba tient, encore des collègues du CAF, les mêmes qu’on avait croisé la dernière fois au Trou de la Mouche. Le monde de la montagne est petit. On discute un peu, mais le froid est mordant et nous ne trainons pas trop. La neige est excellente, mais étant en aveugle, on y va doucement. On reste toujours en visu, les petites chutes sans gravité se succèdent à la suite de changements de terrain invisibles. Enfin, surtout pour Cédric il faut dire. Finalement on sort assez rapidement du brouillard ce qui nous permet de nous lâcher et on s’offre une descente parfaite dans une neige de cinéma, face au lac de Roselend qui se découvre en face de nous, dans une ambiance mystique.
On arrive (trop) rapidement en bas, on repote et on s’arrête manger à l’abri du toit d’une maison de montagne. Les alentours sont très beaux, nous profitons d’un peu de vue qui se découvre sous les nuages.
A l’arrêt, le froid se fait vite sentir, on ne traine pas et on reprend notre route. Thomas est fatigué et l’heure tourne, nous décidons d’écourter notre tour et traçons tout droit dans les arbustes ce qui nous évite de faire une descente supplémentaire. Nous avons pu repérer grâce à une courte éclaircie un passage au milieu de la végétation, ce qui n’était pas gagné d’après la carte. Nous traversons de multiples ruisseaux qui nous donnerons du fil à retorde. Nous passons facilement un petit ressaut rocheuse grâce à une rampe enneigée providentielle, puis nous remontons encore un peu pour rejoindre l’itinéraire initial.
La visibilité se fait de moins en moins bonne au fur et a mesure que la végétation s’amenuise. A plusieurs reprises nous manquons de tomber dans les dépressions créées par les multiples cours d’eau que nous traversons et que nous ne voyons pas, tout étant blanc autour de nous. N’ayant pas de corde pour utiliser la technique du lasso (qui consiste à envoyer une corde loin devant pour créer du relief dans la neige immaculée via la marque occasionnée), nous tapons du bâton devant les skis pour repérer les changements brutaux de relief. Cela ne nous empêche pas de nous faire surprendre plusieurs fois. Nous arrivons sous une pente à 30° que nous devons traverser. La pente n’est ni longue ni haute, même en cas d’avalanche le risque d’enfouissement est faible, mais sans voir où nous allons, elle parait quand même plus impressionnante sur le terrain qu’hier soir lors du repérage sur la carte. Nous ne trainons pas dedans, on galère un peu à remonter les derniers mètres, les 20cm de neige fraiche n’adhèrent pas sur la couche dure sous-jacente.
Nous arrivons sur un replat, nous devons contourner une zone un peu plus raide pour remonter des pentes douces jusqu’au col. Mais à partir de là, tout devient blanc autour de nous. Il n’y a plus de végétation, tout n’est que lumière, uniforme, infinie. Je suis devant à tracer, mes seuls repères sont les traces que mes skis laissent dans la neige et mes compagnons qui me suivent. Un peu de couleur qui rassure dans ce monde si monotone. Je ne vois pas à 5cm devant mes skis, la progression se fait à 50% aux sensations pour savoir si je monte ou descend et pour déterminer de quel côté est la pente et 50% à la montre, sur lequel je suis le plus fidèlement possible la trace qui s’y affiche, que j’ai créé la veille. La technologie a du bon, sans montre avec cartographie et suivi d’itinéraire et sans téléphone portable avec localisation, carte IGN et carte de pente nous n’aurions pas pu progresser en sécurité dans ces conditions. Sans ces outils, quand on se fait prendre dans de telles conditions, la seule solution est de creuser un trou dans la neige et de s’y réfugier en attendant que la météo s’améliore. Enfin pour cette sortie, sans ces outils nous serions resté à la maison. Pour ceux qui s’inquiètent de la fiabilité de la technologie, nous avions 3 montres avec cartographie et itinéraire résistantes aux conditions extrêmes ainsi que 3 téléphones portable. De quoi voir venir avant que tout soit défaillant…
Notre progression est lente et silencieuse, seul le doux bruissement des skis sur la neige fraiche et la bise fraiche et vivifiante viennent l’agrémentée. C’est un exercice fatiguant aussi bien physiquement que mentalement. J’arrive bien malgré moi sur une sorte de petit dôme, je constate que ça descend de chaque côté grâce au bâton. Bizarre ; j’avance avec précaution, la descente est douce. Je me méfie, car à n’importe quel moment la pente peu s’accentuer. Finalement le terrain s’aplatit rapidement. Je regarde derrière moi, c’était en fait une toute petite descente d’à peine 1m ! Je trace ensuite en plein dans un creux que j’aurais pu éviter en passant 1m à droite… Ceux qui vont passer là par beau temps vont se marrer, quelle trace insensée ! Pour rajouter un peu de piquant je suis en train de perdre la peau de mon ski droit. Celle-ci se décolle progressivement par l’arrière. J’espère que ça va tenir encore un peu… Nous finissons par arriver au col. Enfin je crois… Tient ça redescend par-là, puis ça remonte raide. A ba tient il est là en fait le col. Allez, cette fois on y est, on en est sûr ! Ma peau n’est collée que sur 1/3 de l’avant du ski, il ne fallait pas que ça continue encore longtemps. C’est décidé, je répare l’attache à l’arrière pour la prochaine fois.
Vue depuis le col
Pas fâché d’arriver. Allez, encore une descente et on rentre au bercail. La visibilité n’est pas meilleure de l’autre côté du col. On passe rapidement en mode descente et je m’engage dans la pente, par petit virages, à l’aveugle. Je vise à gauche, pour éviter une partie plus raide repérée sur la carte. Tout à coup le sol se dérobe sous mes pieds ! Les compagnons me voient disparaitre, je glisse presque à la vertical de quelques mètres avant de m’arrêter. Je suis tombé dans une dépression certainement créée par un ruisseau. Je suis coincé dedans ; je fini par retirer les skis pour remonter. On contourne largement cette dépression puis on continue la descente, un petit virage après l’autre, les genoux à moitié plié et prêt à amortir un changement de pente. Après avoir descendu 200m en 20 minutes, ont fini par retrouver un semblant de visibilité. Cela ne nous empêche pas de nous faire régulièrement surprendre par le terrain et de finir le museau dans la neige, mais au moins on avance un peu plus vite. Heureusement que la neige est bonne. Quoi que un peu matée par le vent, c’est moins poudreux que lors de la première descente. Enfin on ne va pas se plaindre pour ça. Il nous aura fallu 50 minutes pour descendre 700m de dénivelé et rejoindre le chemin carrossable enneigée du bord du lac de St Guérin. Pas mécontent de finalement sortir de la purée de pois et de retrouver des traces de civilisation, cette descente a été éreintante ; on ne peut pas dire qu’on a fait du grand ski.
Le plan initial prévoyait de remonter 400m de l’autre côté de la vallée pour rejoindre la station d’Arêches et descendre par les pistes. Étant donné l’heure, la luminosité qui commence déjà à décliner et vu l’état de fatigue des troupes, nous n’avons pas besoin de nous concerter pour prendre la décision d’activer le plan B : la descente directe par la route !
Chose que nous avons négligé lors du repérage la veille, le chemin remonte sur 1km. Purée, on n’avait pas besoin de ça ! Nous voila donc à porter nos skis et à marcher ce kilomètre de trop. On rechausse et on se laisse porter par la pente douce du chemin. Sous les nuages le paysage est magnifique, on passe à côté d’une belle chute d’eau en cours de gélification, à notre gauche le lac de St Gérin, au fond la vallée que nous allons bientôt rejoindre. Avec le grésil qui tombe depuis un moment et la chaleur de ma respiration qui passe par-dessus mon cache nez, mon masque à complètement gelé. Il rejoint dans la poche mes lunettes, également gelée depuis que j’ai commis l’erreur de les ranger pleine de buée. La descente se fait en plissant les yeux, fouetté par le grésil. Bonheur. La chemin laisse place à une route goudronnée mais non déneigée pour l’hiver. On voit un panneau de circulation avec inscrit « Arêches » vers la droite. Allez, on y est bientôt ! La route descend de manière constante, on progresse bien, l’ambiance est grandiose, nous sommes dans des gorges, ça tombe à pic à gauche de la route.
On arrive au hameau du Mappaz et comme prévu, le chasse neige est passé par là. Le grésil qui nous a gêné une bonne partie de la journée nous est finalement utile : il a recouvert la route d’une fine pellicule de neige, suffisante pour progresser sans abimer les skis ; Les planètes s’alignent finalement, nous avons pu rejoindre Arêches skis aux pieds, c’était inespéré ! En coupant les lacets à travers champs sur 10cm de neige fraiche recouvrant l’herbe (heureusement sans cailloux) et skiant sur les 2cm de neige de la route. On a juste dû se mettre de côté peu avant d’arriver au village pour éviter une déneigeuse. Ne reste plus qu’a retraverser le village en sens inverse ski sur le dos et nous sommes finalement de retour à la voiture, tout juste avant la tombée de la nuit. La règle qui édicte que la frontale ne sert pas quand on l’a, mais qu’elle aurait servie quand on ne la prend pas se vérifie encore une fois.
Une belle aventure, fatigante tant sur le plan mental que physique, mais enrichissante et atypique, qui a mis à l’épreuve nos compétences apprises ces dernières années. Pour les chiffres : 8h30 voiture à voiture, 23km, 1900m de dénivelé et 2 descente. On a pas été très rapide, mais on a quand même du tracer 100% du temps en conditions dantesques ! Notre objectif initial, ambitieux sans aucun doute dans ces circonstances, prévoyait 4 descentes pour 2500m D+. On y retournera sous le soleil !
En rouge la trace réalisée, en bleu le projet initial
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