Arête des Cosmiques

Malgré les prévisions météo exécrables du WE, on tente un holdup à Chamonix avec un groupe du CAF dans l’espoir que les nuages restent bas et nous offre une mer de nuage. Bon je vous le dis tout de suite, ça n’aura pas été le cas. L’objectif de ce WE est de valider l’UF Terrain Montagne, l’une des 4 unités de formation nécessaire pour prétendre passer l’initiateur alpi. Nous sommes huit, six élèves (Jean-Noé, Océane, Gilles, Fedora, Federico et moi) et deux encadrants (Kevin et Tereza)

Samedi, montée à l’Aiguille du midi avec la première benne de 11h30 (ouverture tardive à cause du vent). C’est la première fois que je monte là-haut, mais je pourrais y retourner, on n’y voyait pas grand-chose dans les nuages. On se prépare au chaud dans les couloirs puis on sort de l’édifice par une grotte de glace qui mène directement à la voie normale pour descendre de l’aiguille (une arête de neige de 100m de haut environ). Cette arête, d’ordinaire débonnaire pour un alpiniste averti, nous demande une attention toute particulière. Les conditions sont exécrables, la température ressentie est de -18°C, nous devons nous frayer un chemin dans l’épaisse couche de neige poudreuse, le vent souffle à plus de 50km/h en nous criblant de grésil et enfin la visibilité est nulle avec en prime une bonne couche de givre sur les lunettes, qui s’est formée avec la vapeur d’eau de notre souffle. Nous sommes répartis en 3 cordées ; je passe leader du groupe et ouvre la voie à tâtons en essayant de rester le plus possible sur le fil de l’arête. Le 3ème de notre cordée se fait une petite frayeur en traversant une corniche et glissant sur quelques mètres en face S, sans mal.


Nous arrivons finalement au col qui signe la fin des difficultés au moment ou le temps s’améliore. On troque nos crampons pour des raquettes et nous dirigeons vers les Pointes Lachenal, notre objectif du jour. Nous marchons d’abord sous quelques rayons de soleil puis rapidement le brouillard reprend l’avantage et nous coupe la visibilité. Nous contournons l’Aiguille du midi par le Sud et arrivons à l’aplomb du Refuge des Cosmiques, là où nous passerons la nuit. Nous bifurquons vers le Sud Est, dans un flou gris total ; la limite entre la neige immaculée et le brouillard n’étant pas visible. Je passe devant pour faire la trace et tente de me diriger au mieux, Kevin encordé à 15m derrière moi me criant « à gauche » et « à droite » quand je déviais de ma trajectoire. Malgré la boussole et en se retournant régulièrement pour vérifier l’alignement des 3 cordées, il est difficile de garder le cap ; en regardant la trace GPS après coup on se rend compte que j’ai dévié à droite avant de reprendre à gauche sur les conseils de Kevin.


On s’enfonce dans la neige jusqu’au genou malgré les raquettes, le terrain a beau être globalement plat la progression est difficile. Au bout de 500m (soit 1/3 de la distance entre le refuge et l’attaque de la course, parcouru en 25 minutes) on décide de faire demi-tour, les conditions ne s’améliorant pas et certains membres du groupe montrant des signes de fatigue. La montée au refuge est encore une épreuve, il n’y a que 50m de dénivelé mais la neige rend les choses compliquées. Nous arrivons bien fatigués vers 16h30. Il fait chaud à l’intérieur et nous sommes les seuls avec les deux gardiennes, on a tout l’espace pour nous. Et de l’espace, il y en a sachant que le refuge est prévu pour 148 personnes. Après avoir mangé une collation et bu une bière pour certains, un chocolat chaud pour d’autre, nous faisons quelques ateliers sur les techniques de progression, la gestion de l’encordement et les nœuds sous la supervision de Kevin et Teresa.


19h, l’heure du repas, le ciel se dégage et nous offre un magnifique coucher de soleil. Nous sommes attentifs aux prévisions météo du lendemain ; ça s’annonce dans la continuité d’aujourd’hui, mais avec moins de vent et un peu de mieux le matin. Comme le jour se lève vers 7h et que les températures sont encore très basses, on ne partira pas tôt pour autant. Le ciel s’est dégagé, la nuit est claire, j’en profite pour prendre quelques photos. Après quelques jeux et révisions du topo du lendemain, on part se coucher.


6h30, le réveil sonne, on se lève et profitons de magnifiques lueurs de l’Aube. On commence le petit déjeuner avec une vue imprenable sur le Mont Blanc du Tacul par la fenêtre, on le fini avec un tableau tout gris. Le mauvais temps est arrivé rapidement ! Départ à 8h15 par -10° pour l’arête des Cosmiques. C’est un grand classique du coin, il n’est pas rare de voir d’y constater des heures d’embouteillages au milieu. Mais aujourd’hui il y aura certainement moins de monde. Nous rejoignons l’attaque en raquette (en s’enfonçant au moins autant que la veille) puis on profite d’un terrain rocheux dont la neige a été soufflée pour chausser les crampons. La suite sera lente et physique.


Je suis encordé avec Jean Noé, les six autres forment 2 cordées de 3. Nous partons en tête pour tracer l’itinéraire ; je m’engage dans la neige et m’y enfonce parfois jusqu’à la taille. Je progresse centimètre par centimètre dans des congères et décide de rejoindre des rochers à gauche, dans l’espoir de progresser plus facilement. La progression est moins pénible mais plus technique. Après quelques dizaines de mètres d’ascension, la grimpe se fait plus soutenue et n’ayant pas de vision claire sur la suite des difficultés je décide de reprendre à droite ce qui est d’ordinaire la voie normale en cailloux et aujourd’hui une bonne accumulation de neige. Je m’enfonce et fait parfois fasse à des murs de neige plus haut que moi qu’il faut faire tomber et tasser. On essaie le plus possible de trouver des rochers sur lesquels s’appuyer pour limiter l’enfoncement.


Nous arrivons finalement en haut de la première montée après plus de 2h d’effort (contre moins d’1/2h en temps normal). Nous continuons de tracer dans la profonde sur une arête. Nous arrivons à un rappel et je peine à trouver le relais sous la neige. Le hasard fait bien les choses, c’est à ce moment que deux cordées menées par un guide arrivent, ce dernier dégage le relais de la neige en un rien de temps et nous les laissons passer afin qu’ils fassent la trace. C’est tout de suite moins dur de suivre des traces plutôt que de chercher l’itinéraire. Nous faisons un premier rappel, puis un second en face Sud afin d’éviter un gros gendarme et enchainons avec quelques pas de grimpe technique pour rejoindre le fil de l’arête ; il faut bien placer les pointes des crampons dans les rochers, chercher les prises sous la neige et éventuellement planter le piolet dans de bonnes fentes. L’itinéraire devient moins évident à trouver sous la neige et nous sommes bien content que le guide nous montre le chemin.


Nous retrouvons le fil de l’arête, puis contournons un second gendarme par le Sud et arrivons face à un raide mur. C’est la fameuse fissure diagonale en 4c, le passage le plus technique de la course. En bonnes conditions, cette fissure n’aurait pas demandé tellement d’effort, d’autant plus qu’elle ne fait que 5m de haut, mais aujourd’hui c’est une autre paire de manches. Le rocher est glacé, la fissure est enneigée et gelée par endroit. Je pars en tête avec des gants techniques, je place une protection pour limiter l’exposition et me hisse à l’aide d’un piolet. La prise suivante glisse à cause de la neige et je ne parviens pas à placer de protection supplémentaire ; je n’ose pas lancer le prochain mouvement car une chute serait douloureuse et redescend. Une seconde tentative donne le même résultat. Damn ! Je repars dans une 3ème tentative, sans gant et sans piolet cette fois-ci. Je me lance, passe le mouvement au-dessus du point et arrive à une fissure horizontale gelée. Je tiens sur la pointe de mes crampons, mes doigts menacent de glisser à cause du gel, je cherche frénétiquement sur mon baudrier le coinceur qui, je suis sûr, rentrera dans la fissure, d’un côté, de l’autre, puis de nouveau de l’autre, je ne le trouve pas, où est-il ! Purée, c’est Noé qui l’a gardé, je fatigue, j’ai les bras tétanisés, je prends un autre coinceur et le fourre au fond de la fissure en espérant qu’il tiendra malgré le gel, prends une grande inspiration et lance le dernier mouv’. Mes mains s’enfoncent dans la neige au niveau de la vire du relais mais je ne sens pas le froid avec l’adrénaline et je prends finalement pied dessus. C’est bon ! C’est passé !


Après avoir retrouvé mes esprits, je fais monter Noé qui passe relativement aisément en second. Nous continuons, je passe en raclant sur les côtés dans une cheminé, puis on quitte l’arête, trop raide, pour la face nord via une courte désescalade et nous arrivons devant la rampe finale. Quelques passages de grimpe sympa dans un itinéraire astucieux nous ramènent sur l’arête, que l’on suivra facilement jusqu’à une des terrasses de l’Aiguille du Midi. D’ordinaire une cohorte de badaud est présente et s’exclame devant l’arrivée des Alpinistes, aujourd’hui nous sommes uniquement accueillis par 3 personnes qui ne semblaient pas impressionnées. Une autre fois pour l’arrivée triomphante. Il est 14h30, on aura mis 6h15 au lieu de 3h indiqué dans le topo en conditions normales.


On attend au chaud l’arrivée des deux autres cordées, qui mettrons 1h15 à arriver. J’en profite pour faire du tourisme et visiter le complexe ; c’est un bâtiment impressionnant, qui à du demander beaucoup d’ingéniosité pour le construire dans les années 50. On prend la benne de 16h30 et faisons le débriefing du WE autour d’une bière à Chamonix. La bonne nouvelle c’est que j’ai validé mon UF ; plus que 2 ! C’était quand même une sacrée course pour un WE de validation des acquis.

Finalement, bien qu’on n’ait pas eu le holdup météo espéré, la journée fut grandiose ; techniquement intéressante et dans un cadre majestueux : la neige plaquée contre les innombrables gendarmes donne l’impression d’être dans un château naturel figé dans le temps. Une expérience toute particulière.


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