Les Trois Pics de Belledonne

En attendant les photos de Chamonix, quelques mots sur la fête nationale. Si le 14 juillet est férié en France, ce n’est pas le cas chez nos amis britanniques, Manon n’a donc pas pu profiter de ce « public holiday » et a continué sa contribution au renouveau de la céréale mondiale. Moi cependant on m’offrait une journée, je n’allais pas le refuser.

Des projets d’ascension, ce n’est pas ce qui me manque, mais comme on a qu’une journée on ne va pas viser trop haut. Lorsque nous avions réalisé une partie de la traversée du massif de Belledonne avec Papa et Irvin (et Manon qui nous a rejoint le dernier jour) il y a deux ans, j’avais repéré des alpinistes qui faisait la traversée des 3 Pics de Belledonne, les points culminants du massif. A l’époque, je commençais tout juste à grimper en rocher, et la vue de cet itinéraire grandiose ainsi que des alpinistes qui en arrivaient m’avait fait fort impression.

Je décide d’en parler à Romain, un très bon ami annécien avec qui j’ai déjà fait de belles courses (notamment l’Arcalod hivernal), qui est partant. Le topo nous met l’eau à la bouche : « Tout simplement une des plus belles courses du massif ! Vue et ambiance magnifique. ». C’est une course de niveau AD+, soit Assez Difficile Plus, avec des passages qui demandent une certaine attention mais rien d’extrême. C’est le niveau que je qualifierais de « grimpe plaisir », ça grimpe bien mais sans se mettre taquet. Enfin, parfois certains passages peuvent être retords et la course longue, donc ce n’est pas forcément une balade de santé non plus.

Départ la veille, lundi 13, directement après le boulot pour bivouaquer afin de répartir la longueur de la course sur deux jours. Au total plus de 1900m de dénivelé, le tout chargé avec le matériel d’alpinisme. Nous montons au magnifique Lac Blanc (2200m d’altitude), où nous passerons la nuit. Irvin, Papa, nous sommes passés à côté le 4ème jour de notre trip, sous la pluie… Et Manon le lendemain sous le soleil. Au-dessus du lac, nous pouvons admirer notre objectif du lendemain, les 3 Pics de Belledonne, ou en tout cas les contreforts, les sommets étant pris dans les nuages. La raide et haute face Ouest qui nous fait fasse nous incite à l’humilité par rapport aux grandeurs de la nature.

La montée est annoncée pour 3h, mais nous avons un bon rythme malgré les sacs de 15 à 20kg et nous arrivons à destination un peu avant 21h, après 2h d’ascension. Nous avons déjà fait 900m de dénivelé que nous n’aurons pas à faire le lendemain. Nous ne sommes pas seul, de nombreux randonneurs ont déjà posé la tente. Nous trouvons rapidement un bon emplacement de bivouac, à côté d’un petit ruisseau et nous installons. Nous avons fait l’impasse sur la tente, afin d’économiser 2.5kg de poids, nous dormirons à la belle étoile, emmitouflé dans nos gros sacs de couchage. Chez nous, bivouac n’est pas synonyme de lyophilisé, Romain sort le saucisson du sac et nous mettons l’eau à chauffer pour de bonnes coquillette – pesto – parmesan. Au dessert, c’est quatre quarts.

La luminosité baisse, nous nous enfilons dans les duvets afin de profiter des quelques heures de sommeils que nous aurons. Nous décidons de mettre le réveil tôt, car si la matinée est annoncée ensoleillée, les nuages doivent s’installer rapidement l’après-midi. Le ciel est maintenant dégagé et j’admire les étoiles qui apparaissent au fur et à mesure que la nuit s’installe puis je finis par m’endormir.

4h30, le réveil sonne. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle, je n’ai pas passé une très bonne nuit et nous sommes mouillés par la rosée. Le froid et l’humidité de la nuit sont saisissants en sortant en caleçon de la chaleur du duvet, aussi j’enfile rapidement ma grosse doudoune et nous allumons le gaz pour faire chauffer le thé. Nous avons presque fini de déjeuner quand nous remarquons plusieurs points lumineux se dirigeant vers nous. A cette heure-là, ce ne sont surement pas des randonneurs. Mince, ils vont surement au même endroit que nous (à Belledonne il n’y a pas tellement de courses d’alpinisme et la notre est le grand classique du coin). Nous comptons 2, 4, finalement 8 points lumineux. Nous n’avons aucune envie de faire la queue derrière 4 autres cordées, aussi nous ne trainons pas à partir.

Nous cachons les affaires de bivouac derrière un névé et nous mettons en route vers 5h20. Les autres sont déjà devant, nous forçons l’allure. Arrivé au pied du glacier (ou de ce qu’il en reste), nous décidons de prendre pied sur ce dernier pour rejoindre le col du départ de l’escalade par un raide couloir enneigé. Nous voyons les autres, devant nous, en train de monter dans du terrain à Chamois pourri. Ils ont certainement fait le pari de ne pas perdre de temps à sortir les crampons, mais ce choix semble discutable. Le regel est excellent et nous avançons rapidement sur le glacier. Nous arrivons rapidement au niveau des autres, effectivement nous avons fait le bon choix. Le couloir de neige est assez raide, 40° à la base puis 45° à la sortie, mais il se monte sans encombre. Arrivé au col de la Balmette, à 2680m après 1h de marche, nous voyons 4 personnes changer de stratégie et nous suivre, puis les 4 autres, déjà bien engagés de leur côté, faire demi-tour et regagner le lac Blanc. Ils avaient l’air en difficulté dans un terrain raide en rocher bien pourri ; leur mauvais choix d’itinéraire leur a certainement couté la course.

Il est 6h30, le soleil matinal nous réchauffe, nous sommes les premiers, nous savourons notre petite victoire. Il peut paraitre futile de vouloir être premier, mais lorsqu’on a déjà fait l’expérience de se retrouver coincé pendant des heures derrière une cordée qui n’avance pas, on est bien content de ne pas risquer de le revivre. D’autant plus que nous souhaitons terminer la course avant le mauvais temps. Nous nous équipons rapidement puis Romain part en tête à l’assaut du premier Pic, par l’arête nord. Le rocher est plutôt bon, la grimpe pas très dure mais plaisante. Nous arrivons devant une dalle de 10m, pas très difficile (niveau IV) mais que nous ne pouvons pas protéger. Romain part dedans confiant, arrive presque en haut puis hésite devant un pas déroutant. Il finit par effectuer un croisement de jambe athlétique et trouve finalement une fissure dans laquelle placer un coinceur. L’arête se poursuit, alternant de beaux passage de grimpe – dont un joli passage en V- dans une cheminée – et grimpette de rochers délités. Nous arrivons finalement au premier sommet sans encombre, le Grand Pic de Belledonne (2977m), point culminant de tout le massif. Nous avons mis 1h45 depuis le col. C’est 1h15 de moins qu’annoncé dans le topo, nous avons un bon rythme ! Les nuages se lèvent, on ne traine pas au sommet.

On attaque directement la suite avec 3 grands rappels on nous perdons un peu de temps à défaire les nœuds dans la corde. Puis nous rejoignons l’arête entre le 1er et le second pic par une brêche, plein gaz. Nous jetons un œil à droite, notre regard s’égare dans l’immensité de raideur de la face ouest. Derrière nous, nous voyons cette même face sous le Pic Principale dont nous arrivons, se perdre dans les nuages. On se demande si des voies d’escalade existent à cet endroit. Si c’est le cas, ça ne doit pas être donné ! Brrr cela fait frissonner rien que d’y penser. Nous continuons sur l’arête, qui est devenue très aérienne et effilée. Les nuages nous recouvrent par intermittence ce qui donne une autre dimension à la course. Je suis désormais en tête et je me fais une petite frayeur dans un passage au-dessus du vide, dans lequel je suis parti trop confiant et me suis retrouvé dans une position inconfortable. Nous évitons un gendarme par des vires, escaladons un second puis un troisième et prenons pied sur le second sommet, le Pic central de Belledonne (2945m). 1h45 pour 2h annoncé, on est toujours bon, d’autant plus qu’on a perdu du temps dans les rappels.

Les difficultés sont dernières nous, la dernière partie est la plus facile. Nous désescaladons, puis parcourons rapidement le peu de distance restant jusqu’au dernier sommet, La Croix de Belledonne (2926m). La grimpe est facile mais pas dénuée d’intérêt pour autant. Nous mettons 35 minutes au lieu de 45 annoncé, on est encore bon niveau timing ! Nous discutons quelques minutes avec les randonneurs et traileurs que l’on rencontre au sommet (ce dernier sommet est facilement accessible par la face S, notre itinéraire de descente). L’un d’entre eux est venu de Grenoble, en vélo puis trail… plus de 2700m de dénivelé en moins de 5h, ça fait une bonne sortie. Un autre nous raconte avoir vu un touriste en difficulté dans la neige, en nu-pied, à 2700m d’altitude. Comme quoi c’est dangereux de les laisser en liberté les monchus. Nous nous déséquipons, mangeons quelques graines puis entamons la descente en ramasse dans les nevés.

En ramasse = glissage sur la neige sur les pieds, éventuellement en s’équilibrant avec le piolet.

Nous remontons en direction du Col de Freydane afin de rejoindre notre point de départ. On voit au loin le couloir de neige par lequel on est monté. Vu d’ici, ça parait raide ! Nous repassons juste en dessous de la face Ouest des Pics de Belledonne, dont les nuages cachent désormais les sommets. C’est impressionnant. Après 1h de descente, nous avons avalé les 1000m de dénivelé qui nous séparaient du camp de base et avons retrouvé nos affaires. Nous mangeons le peu de quatre quarts restant, chargeons les sacs à dos et nous mettons en route pour la vallée. Nous atteindrons la voiture après 1h45 de descente, dont 3 kilomètres sur un chemin pénible qui longe la montagne et alterne les montées / descentes. Quel bonheur de pouvoir enfiler les tongs après 8h30 coincé dans les chaussures rigide d’alpi !

Ce fut une très belle course (comme toujours avec Romain j’ai envie de dire), qui s’est déroulée sans accroc. On en redemande ! Mais déjà, un peu de sommeil et de repos ne feront pas de mal.


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