Alpivouac #2 – La Meije

Première partie à (re)découvrir ici


5h30, après une nuit passée à se tourner d’un côté, puis de l’autre, puis de l’autre, puis encore de l’autre, à connaitre par cœur chaque surépaisseur de corde qui me rentre dans le bassin, à faire quelques rêves étranges entre deux réveils, à ouvrir le duvet car j’ai trop chaud, puis le refermer car j’ai trop froid, le réveil sonne. Ça a l’air l’enfer dit comme ça, mais au final je n’ai pas passé une si mauvaise nuit ; après avoir pris le courage de sortir de la douce chaleur du duvet pour trouver le froid de mes chaussures rigides, je m’étire un bon coup et m’étonne de ne pas avoir de douleurs. Finalement deux cordes font une literie correcte. La nuit nous enveloppe encore, nous observons en contrebas une farandole de petits points lumineux sur la base de l’arête Sud ; les candidats à l’assaut de la Meije depuis le refuge par la voie normale sont déjà à pied d’œuvre ! Pour notre part, c’est rangement de la « chambre » et petit déjeuner. Le jour se lève petit à petit et les premières lueurs rouges du soleil éclairent les sommets qui nous font fait face au moment où nous nous apprêtons à partir, vers 6h50. 1h20 pour être prêt, on est loin d’un record de vitesse, mais on avait besoin de prendre notre temps pour nous préparer à la journée qui nous attend.

J’ai été tiré au sort la veille pour partir en tête. L’avantage de bivouaquer en pleine montagne, c’est que l’approche pour se rendre au départ de la course est très réduite… Environ 30 secondes pour rejoindre la Brèche depuis le bivouac, puis 5 minutes pour atteindre le pied de l’arête W. C’est parti pour environ 4h de grimpe, dans l’ombre de la Meije et exposé au vent glacial du NW. Je prends pied sur une vire versant nord, puis grimpe un mur de 30m en 4b dans un « rocher fracturé peu solide » qui réveil dès le petit matin. Le gros sac et les gants (il fait environ -3°, auquel il faut ajouter le vent du nord) n’aident pas à rassurer. J’arrive sur une terrasse sur dalle inclinée et je redonne la main à Pilou. La grimpe est assez conti dans la difficulté (IV) tout au long des 400m de dénivelé de l’arête – c’est-à-dire que ça grimpe tout du long. L’escalade est très plaisante, le rocher plutôt bon et malgré le froid et le vent, nous apprécions vraiment cette ascension. Heureusement, nous parvenons à nous abriter du vent la plupart du temps où nous sommes immobiles pour assurer l’autre. La différence de température ressentie est frappante. Pilou fini de gravir un ressaut de 70m, il me fait venir et nous arrivons sur une arête effilée horizontale. Après deux désescalades et un rappel, nous arrivons au pied d’un raide mur que l’on remonte pour arriver au lieu-dit le Pas du Chat sur lequel se trouve une plateforme de bivouac 4 étoiles, perchée au-dessus du vide. On garde l’emplacement en tête pour une prochaine fois. Et… ça y est ! Après environ 3h30 de grimpe sans pause, nous arrivons à la fin de l’arête W, nous rejoignons la voie normale et surtout, le soleil. On passe du pôle Nord aux tropiques en quelques instants. On quitte rapidement la doudoune et les gants. Les cordées parties du refuge ce matin sont déjà loin devant nous, leur itinéraire étant plus rapide que le notre et leur heure de départ plus matinale. C’est une bonne chose, nous étions tranquilles jusqu’à présent, nous pouvons espérer le rester.

Nous sommes loin d’être au sommet pour autant. Nous savons que nous devons rejoindre le Glacier Carré, un glacier suspendu d’une forme caractéristique, passage obligé pour le sommet et lieu du fameux éboulement dont je parlais dans la partie 1. Il est bientôt 11h, le glacier est plein sud et le soleil tape fort dessus, j’espère que la neige ne sera pas trop transformée. Dans tous les cas, il nous faudra le traverser rapidement pour limiter l’exposition. J’assure Pilou depuis la plate-forme de bivouac. Il passe par-dessus un gros rocher qui me cache la vue. La corde file doucement dans mon mousqueton il ne progresse pas vite, mais qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté ? Je pensais que c’était débonnaire. Une fois arrivé en bout de corde, je me lance à l’assaut du bloc qui me masquait la vue et découvre une vire horizontale, à flanc de montagne. Je ne m’attendais pas à ça. La traversée n’est pas très technique mais très impressionnante. Au-dessus et en dessous de moi, une paroi verticale ; sous mes pieds la vire plus ou moins large serpente sur une bonne vingtaine de mètre pour mener en bas du glacier. A plusieurs reprises je cherche méticuleusement de bonnes prises de main pour assurer la traversée, notamment avec le sac qui me déséquilibre, mais y parvient finalement sans encombre. On sort nos piolets, enfile nos crampons et on prend pied sur le glacier. Avec toute la neige tombée cette été, il est encore en très bonne condition, la glace n’est pas apparente et la neige porte bien. C’est rassurant.

Les vestiges de l’éboulement de 2018 ne sont pas visibles, une grande partie des débris doit déjà être tombé et le reste doit être caché sous la neige ; la traversée ne semble pas tellement risquée ce jour. Nous remontons rapidement les 100m de dénivelé, dans une pente à 35° puis un couloir à 40°. La neige est très bonne tout du long, on avale ce passage comme de rien malgré la fatigue et l’altitude. Cela nous mène au col entre le Pic du Glacier Blanc et le Grand Pic, notre objectif. Je repère une alors une cordée qui évolue juste au-dessus de nous, 80m plus haut. Je suis en train d’enlever mes crampons quand Pilou cri « Pierre ! ». Nos sympathiques compagnons du dessus on fait partir plusieurs blocs. Ils fusent pas très loin de nous et nous mettons le turbo pour partir de cette zone exposée. Pilou attaque la face proche du fil, comme recommandé. La grimpe est conti mais assez facile sur 100m (niveau III) ; c’est encore une fois très plaisant, sur un rocher assez correct et au soleil !

On se relaie et j’arrive finalement au pied de la dalle du « cheval rouge », une petite dalle penchée de 3m de laquelle on sort classiquement en se mettant à califourchon sur l’arête (d’où le « cheval » ; le « rouge » vient du fait qu’elle soit… rouge). Entre temps, nous avons rattrapé la cordée qui nous a caillassé. Elle est à pied d’œuvre dans la dalle et si le premier est passé sans problème (on saura plus tard que c’est un guide qui emmène ses 2 clients), la femme qui le suit à mille difficultés à passer cet obstacle et préfère s’allonger sur la dalle en se faisant tirer par la corde plutôt que d’assurer ses appuis. Elle finit par atteindre l’arête sur laquelle elle souffle quelques instant (en position de cavalière sur l’arête si vous avez suivi). L’homme qui la suit est encore plus dans la panade, il a réussi je ne sais comment à enrouler la corde autour de lui et à la bloquer autour de son sac. Lorsque le guide le tire d’en haut, la corde le fait tourner ; cela couplé au fait qu’il n’ai pas une meilleur technique de grimpe que sa partenaire fait qu’il fini par glisser en bas de la dalle dans une belle démonstration du saumon apeuré. Je tâche de l’aider, mais il ne me répond que par « mmmhhh euuuh mmmoooohh ». Je me dis intérieurement : « Whaat c’est quoi ça ? » Pilou, qui rigole de la scène 20 mètres plus bas me cri « Il est sourd ! ». Ah ba oui j’aurais pu deviner. Je l’aide tant bien que mal à se démêler de sa corde mais ai bien du mal à le conseiller pour améliorer sa technique de grimpe. Il fini par arriver en haut de la dalle grâce à l’aide du guide qui le tire d’en haut. En parallèle, je fais venir Pilou à mon niveau. « Purée, il faut qu’on les doubles ceux là, ça va être l’enfer sinon ». Pilou part sur leurs talons, franchi la dalle sans difficulté (mais elle mérite peut être plus un IV que le III annoncé dans le topo), puis gravi un surplomb qui lui permet d’arriver sur l’arête sommital. Il me fait venir. En se plaçant bien, la dalle n’est effectivement pas très dure. Je bourrine dans le surplomb pour le passer le plus vite possible et à peine arrivé, Pilou repart vers le sommet, que l’on atteint rapidement. Nous sommes au point culminant de la journée, le Grand Pic de la Meije qui culmine à 3983m !

La vue est splendide à 360°, mais je n’ai à peine le temps d’en profiter. En effet, la fameuse cordée – qui comporte 2 sourds et pas qu’un en fait – y est déjà et s’apprête à repartir après quelques photos. Vu le temps qu’on a déjà perdu derrière eux, nous ne voulons pas encore perdre 1h dans les 3 rappels qui nous attendent. Nous leur demandons à passer devant, ce qu’ils acceptent. J’aurais beaucoup apprécié 10 minutes de pause, mais je prends quelques photos à la volée et on attaque directement la désescalade qui mène au premier relais. Je sors le deuxième brin de mon sac – enfin il sert à quelque chose – et on installe le rappel. Un premier rappel de 40m assez vertical se fait assez bien ; le second de 40m est plus délicat car relativement peu incliné. Nous peinons à lancer les cordes en contrebas et Pilou qui descend en premier passera pas mal de temps pour faire glisser les cordes vers le dernier relais. Nous finissons par atteindre tous les deux ce dernier relais, et je tire sur la corde. Tout se passe bien, jusqu’à ce que… Sans grande surprise la corde rappelée se coince. On tente de la déloger d’en bas, sans succès. Elle n’est pas bloquée très haut au-dessus de nous, je grimpe pour la débloquer, passe la corde hors du rocher qui coince, tire dessus et… Merde, elle est aussi bloquée 15 mètres plus haut. Au-dessus, le guide gère bien sa cordée et évolue plus vite que prévu, nous décidons de l’attendre pour qu’il nous débloque la corde depuis le haut ; cela prendra moins de temps. Nous patientons au relais. Juste en face la Dent Zsigmondy, devant la Brèche du même nom qui semble très acérée. C’est esthétique. De là ou on est, on ne peut pas voir le contournement de cette Dent, devenu impraticable après l’éboulement de 1964, mais on sait qu’il y a une via ferrata en face N. Ça devrait bien faire. Une cordée de Suisses qui nous a doublé peu de temps avant à la vitesse de l’éclair (au niveau du Cheval Rouge) est déjà sur la Brèche et est en train de chausser les crampons. Tiens, le contournement nécessite les crampons ? C’est vrai qu’on n’a pas tellement étudié le topo, ce n’est pas plus mal de les voir faire devant, pour anticiper.

Après 5 minute d’attente, le guide nous sauve la mise et on s’empresse d’installer le dernier rappel. J’arrive sur un replat en neige / glace et construit un relais de fortune autour d’une écaille. Après discussion avec le guide, qui connait la course, nous décidons de chausser les crampons dès le bas des rappels. La suite s’annonce donc en mixte (progression en crampon sur terrain mixte : rocher, neige et glace). Cela ne va pas simplifier la progression, il est plus délicat d’évoluer avec des crampons au pied sur du rocher par rapport à la semelle en caoutchouc. Mais lorsque le terrain évolue rapidement entre rocher, neige et glace, où les crampons sont obligatoires, il serait trop long de les enlever et les remettre à chaque changement. Je me lance à l’assaut de la fine arête constituant la Brèche Zsigmondy, mais dans la précipitation (nous nous faisons talonner par la cordée « muette » qui avance plus vite que prévu, nous ne voulons pas les ralentir après avoir demandé à passer devant), j’oublie de reprendre le matériel de protection. Je me retrouve à sec avant le passage vertigineux, je fais donc venir Pilou sur un (très) mauvais relais et il reprend la tête jusqu’au pied de la dent. L’arête est vraiment esthétique, côté Sud une dalle quasi vertical et côté Nord une dalle inclinée sur laquelle nous évoluons en pas latéral, en tachant de profiter des petites failles horizontales du rocher pour placer nos pointes de crampons et en tenant fermement le faîte de l’arête avec nos mains de nouveau gantées.

Nous trouvons le câble comme prévu au pied de la dent, qui la contourne, en descendant d’abord sur 20m, puis traverse sur 30 mètres pour remonter ensuite vers l’arête. Pilou part devant et je le suis quand la corde se tend. Ouch ! C’est plus dur que prévu, la dalle sur laquelle on descend est raide et lisse, j’ai tout mon poids sur le câble, que je tiens au mieux avec mes deux mains. Eh bien, supporter son poids sur un câble lisse et avec des gants, ce n’est pas un exercice aisé. Notre seule sécurité est notre vache (corde attachée au baudrier d’une part, et à un mousqueton d’autre part) que l’on attache sur le câble. Autant dire que la chute n’est pas une option, les attaches du câble au rocher sont rares, il n’est pas envisageable de faire une chute de 10m et d’être retenu d’un coup par une corde sans amortisseur. Je quitte le rocher pour la glace, ça devient moins dur. Je suis surpris par la dureté de la glace, que mes crampons, très émoussés après de nombreuses utilisations, peine à pénétrer. Note à moi-même : aiguiser mes crampons pour la prochaine fois. Un peu plus loin, le câble disparait sous la glace sur 2 mètres, nous devons évoluer à tour de rôle sans vache et sans prise de main. Mais ça se fait sans trop de mal ; nous sommes toujours reliés à un point à tout moment, grâce à l’autre . Puis nous remontons une raide pente en glace à 70°. Plusieurs points reliant le câble au rocher ont cassé et le rendent très lâche. Je commence à fatiguer des bras. On est talonné par une nouvelle cordée qui à déjà doublé la cordée « muette » et qui veulent nous doubler également. Soit on accélère le mouvement, soit on poireaute dans le froid le temps que les deux passent ; on préfère la première option. Pilou arrive au pied d’un passage de 3m vertical ou le câble disparait de nouveau sous la glace. Il sort son piolet, gravit ces quelques mètres et se vache à nouveau. La suite est en mixte rocher / glace, qu’il avale rapidement pour sortir sur l’arête. Il me fait venir sur un bon relais, je suis content d’être en second, j’ai les bras complètement fumés ! Je donne tout ce que j’ai et parviens à son niveau. « Je n’avais vraiment pas imaginé que c’était si physique » je lui lance, essoufflé. « Oui clairement ce n’était pas une simple via ferrata, on n’était pas prêt » me répond-t-il.

On libère la plateforme d’arrivée pour laisser la cordée qui nous talonne sortir tranquillement et on se pose quelques mètres plus loin, entre de bons rochers. J’ai besoin d’une pause, je commence à vraiment fatiguer. On débrief sur ce qui vient d’arriver. Si la difficulté technique était loin d’être au-dessus de notre niveau (quand on part en cascade de glace l’hiver, c’est bien plus difficile), on est parti dans cette section la fleur au fusil en voyant « via ferrata » sur le topo. Et ainsi on n’a pas chercher à réfléchir, on s’est engagé dedans sans piolet, sans broche à glace, en bourrinant sur le câble au lieu d’essayer de passer plus proprement et comme on se faisait talonner par une autre cordée on a pas prit le temps de se poser pour éventuellement changer de stratégie. D’autant plus qu’en relisant le topo ou il est indiqué « Cotation D- prenant en compte la via ferrata », j’avais compris que la cotation de la course était plus faible du fait de la via ferrata alors qu’en fait… C’est à cause de ce passage que la cote est réhaussée ! On vient donc de parcourir le passage le plus difficile de la journée. Bon, on fera mieux la prochaine fois. Maintenant il faut penser à la suite ; il est déjà 15h et il reste encore pas mal de chemin à parcourir. Les troupes ne sont pas au top ; la fatigue accumulée et l’altitude nous pèsent dessus. On mange rapidement et on repart peu avant que la cordée « muette » nous rattrape.

A partir de ce moment, la progression devient physiquement difficile pour moi. Je suis épuisé mais je fais au mieux pour conserver ma concentration et éviter l’erreur. Nous parcourons l’arête en restant plutôt au nord (face Sud, la falaise est abrupte) et nous devons conserver les crampons tout du long car les passages de neige sont fréquents. Nous grimpons une dent, puis une deuxième, j’essaie de rester efficace et d’évoluer rapidement. Pilou aussi fatigue, on se relaie. Plusieurs fois je sens que je ne suis plus totalement lucide et je sens bouger des rochers qui ne bougent pas ; je me dis que tant que ça reste limité, je ne m’inquiète pas. Je sais progresser sur ce genre de terrain, j’ai l’expérience pour y arriver en sécurité. Au fur et à mesure de notre avancée, comme je vois que ma fatigue – logiquement – s’empire, je commence à me dire qu’il faudra peut-être revoir nos plans pour ce soir. Nous devons bivouaquer en haut de la Meije Orientale, à 3891m. Cela signifie remonter jusqu’au sommet après la traversée, passer une nuit en haute altitude et avoir une grande chance de se faire fouetter par le froid vent du nord qui n’a toujours pas faibli. L’autre option est de descendre au refuge de l’Aigle, facilement… Cette alternative me parait finalement bien tentante… Nous n’avons pas d’argent, mais on trouvera bien un arrangement. Bref, on fera le point quand ce sera le moment. Il ne nous reste plus qu’a gravir la dernière Dent, le Doigt de Dieu (3973m) et après ce sera enfin la descente. Cette idée me redonne un coup d’énergie, je pars en tête et aval les 90 mètres de dénivelé en peu de temps.

17h30, ça y est, nous sommes au sommet final ! Car oui, dans ma tête j’ai déjà abandonné le fait de continuer ce soir. Nous en discutons avec Pilou et nous mettons d’accord pour une retraite au refuge. Notre état de fatigue ne nous permet pas de continuer dans de bonnes conditions de sécurité et de plaisir. D’autant plus que la course principale du WE était celle d’aujourd’hui. La vue depuis le sommet est fabuleuse sur les arêtes que l’on vient de parcourir. Le contraste face S abrupte / face Nord tobogan enneigé est saisissant. De l’autre côté, nous avons une vue dégagée sur le Pavé et Pic Gaspard, nos objectifs du lendemain. Ou plutôt nos anciens objectifs ? On s’accorde bien 20 minutes de pause ce qui laisse le temps à la cordée muette de nous rejoindre. On fait plus ample connaissance avec le guide pendant qu’on installe le rappel. Quatre rappels au total nous ramènent sans trop de difficulté sur le Glacier du Tabuchet. La Rimaye est moins impressionnante que celle de la veille. Le glacier est facile et nous le descendons rapidement. L’ambiance est fantastique ; le contraste entre le blanc du glacier, le vert des pâturages qui nous font faces et le bleu du ciel est magnifique. La descente est efficace, nous progressions rapidement et en à peine 30 minutes nous arrivons à proximité du refuge. Il est alors 19h, cela nous conforte dans le fait qu’on n’aurait vraiment pas eu le temps de monter à la Meije Orientale ce soir.

C’est là que Pilou repère un potentiel emplacement de bivouac, sur un monticule à 250m du refuge, vers 3475m d’altitude. On hésite ; passer la soirée dans le froid et le vent, dormir sur un matelas de corde ou être au chaud au refuge et dormir sur un lit… Ba oui, dit comme ça et vu notre état de fatigue la réponse est évidente, on bifurque pour le bivouac ! Un spot est déjà aménagé, un petit muret barre le vent lorsqu’on est allongé, mais pas assis ; aussi nous allons un peu plus loin pour manger. Nous sommes moyennement à l’abri du vent, mais ça le fera. Contrairement à la veille, nous avons une source inépuisable de neige juste devant nous, c’est un luxe. On commence directement à faire fondre la neige et on boit copieusement. Les nuages jouent à cache-cache avec nous, noyant notre bivouac dans la purée de poids et le libérant épisodiquement. Lorsque les nuages nous laissent tranquilles, on brave le vent pour admirer le soleil qui se couche à l’ouest. Le repas est identique à celui de la veille. On fait le point sur ce qu’il nous reste à manger ; comme à notre habitude, on en a trop pris… Quelle idée j’ai eu de prendre 3 plaquettes de chocolat ?!? Mais au moins on mange à notre faim.

On discute de la stratégie du lendemain. Trois solutions s’offrent à nous : continuer la course comme prévu, mais quid de la fatigue accumulée pour faire face à cette journée de 15h, avec une évolution sur du rocher annoncé majoritairement bien pourri ? On écarte rapidement cette solution, il faut savoir renoncer à ses projets quand la raison l’impose. Deuxième possibilité : gravir la Meije Orientale en aller-retour. Nous avons largement de quoi le faire, la couse est techniquement facile et seulement 450m de dénivelé nous séparent du sommet. D’autant plus que nous pourrions nous délester de tous le matériel superflu pour le récupérer à la descente. Oui mais justement… Est-ce que ce n’est pas trop facile ? « Franchement, la flemme de me lever pour faire un sommet qui se fait à ski ». Ça c’est de moi, c’est peut-être un peu condescendant quand on sait que la majorité des clients du refuge monte spécialement les 1800m qui mènent au refuge pour faire cette course le lendemain, mais franchement, je n’ai pas la motivation de me lever tôt pour faire une course sans grand intérêt technique et qui offre la même vue qu’hier. Pilou partage mon avis, ce qui nous laisse donc avec la 3ème option : redescendre en vallée après une grasse matinée !

Le vent rend la température ressentie glaciale. Non loin de nous, on observe les personnes au refuge qui admire tout comme nous le coucher du soleil. On les envie un peu quand on sait qu’en quelques mètres ils peuvent se mettre au chaud. Mais on ne regrette pas notre décision pour autant. On se fait plusieurs tisanes pour se réchauffer et on ne tarde pas à se coucher, avec la luminosité qui décline. Cette fois ci, je garde mon pantalon et ma doudoune. Je ferme le duvet au maximum pour uniquement laisser mon nez et mes yeux dépasser. J’ai froid aux pieds, je test une technique de sioux : enfiler les gros gants sur les pieds, tant pis pour l’odeur. Résultat, ça marche du tonnerre ! Je suis bien désormais, j’oublie même la rudesse de mon matelas de fortune. Je m’endors rapidement et sombre dans un sommeil agité. Je ne sais pas combien de fois je me réveil durant la nuit mais cela ne gêne pas pour autant, je me sens serein, bercé par le cadre magnifique. La lune se lève durant la nuit et éclaire toutes les montagnes, j’admire ce spectacle durant mes réveils.

Je ne me rends pas tout de suite compte que le soleil est levé, les yeux cachés sous un bandeau. Le soleil nous fait face, il m’éblouie quand je soulève le bandeau, je n’arrive pas à ouvrir les yeux. Je prends plusieurs photos à l’aveugle et referme rapidement le duvet, il fait encore bien froid. Je pense aux cordées parties du refuge qui doivent déjà être au sommet de la Meije Orientale, je ne regrette vraiment pas de ne pas être à leur place ; qu’est-ce que c’est agréable de pouvoir profiter pour une fois ! Le soleil monte dans le ciel, pas un nuage à l’horizon. Il fini par réchauffer l’air, d’autant plus que le vent se calme en même temps. Vers 8h30, soit 1h30 après le levé du soleil, on fini par émerger. Quelle vue incroyable au réveil, c’est là qu’avoir eu froid la veille prend tout son intérêt. Pilou se lève pour aller chercher le réchaud et le sac de provision et on se prend un petit déjeuner au lit. Grand luxe je vous dis ! Juste au-dessus de nous, plusieurs cordées sont à l’œuvre sur le glacier et dans la descente de la Meije. On les entend depuis notre emplacement et on s’amuse d’un couple qui se dispute sur leur façon de progresser.

Vers 10h on se décide à replier le campement, et à 10h30 nous attaquons la descente. Il reste 1800m à descendre pour rejoindre la vallée, ce qui nous prendra presque 3h. D’abord sur un glacier aux crevasses imposantes, puis à flanc de montagne, sur une arête, sur des névés, des ressauts rocheux avant de finalement retrouver un bon chemin ; la descente est une petite course en elle-même. Nous retrouvons avec plaisir la végétation après 2 jours dans un monde minéral. La fin de descente est douloureuse pour les pieds, aussi quand nous arrivons au parking de Villar d’Arêne, nous attendons que la cordée qui nous suivait nous rejoigne pour leur demander de nous déposer à la voiture plutôt que de marcher les 5km qui nous séparent de la Grave. Merci au Guide local – très sympa – qui nous a pris en stop. Après une bière bien méritée, on prend la route pour Annecy ; ce n’est pas désagréable d’arriver tôt chez soi pour une fois !

Nous avons ensuite débriefé la sortie et les raisons de notre abandon forcé. Trois facteurs ont joué :

  • Nous sommes partis déjà bien fatigué et sans aucune acclimatation – une nuit à plus de 3300m ne permet pas un bon repos. Pour être parfaitement acclimaté, il est recommandé de ne pas augmenter de plus de 300m d’altitude son lieu de nuit. Jeudi je dormais à 450m, vendredi à 3350m, ça fait un peu plus de 300m. Tant qu’on n’évolue pas dans des altitudes très élevées (supérieur à 4000 – 4500m), cette acclimatation n’est pas obligatoire, mais elle joue sur les performances.
  • Nous manquions de préparation, nous avions étudié le topo en détail seulement la veille, nous avions sous-estimé la longueur de l’itinéraire. Ce qui amène au dernier point :
  • La majorité des cordées réalisent cet itinéraire en 4 jours au lieu de 3. La première journée permet soit de dormir à la gare de téléphérique et ainsi de partir tôt la première journée (et gagner ainsi au moins 4h) ou de bivouaquer au sommet du Râteau W et ainsi de décaler tous les bivouacs pour permettre de raccourcir la dernière (trop) longue journée.

Toujours est-il que ce WE est tout de même une réussite, nous avons enchainé 2 très belles journées et sommes ravis de ces moments en montagne 😊. C’est à ce jour certainement mon expérience la plus complète en alpinisme. La prochaine fois, nous reviendrons plus fort.


En bonus : la ruse de sioux pour avoir chaud aux panards dans le duvet !


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