Après deux jours en vallée, nous prenons de la hauteur, direction le Refuge du Glacier Blanc. La météo n’est toujours pas à notre avantage, des orages sont prévus à partir de 14-15h. Nous devons partir tôt pour profiter de la journée, le réveil nous tire de notre sommeil à 5h. Après un bon petit déjeuner, nous quittons le campement et prenons la route du Pré de Mme Carle, tous les 7 entassés dans le camion de Geof. Il est 6h30, les chaussures sont lacées, les sacs chargés et le groupe motivé, c’est parti ! La température n’est ni trop froide, ni trop chaude, idéal pour l’ascension. Une première partie à plat pour rejoindre le fond de vallée, puis un chemin en lacet et enfin quelques ressauts dans les rochers nous mènent au refuge en 1h45 environ, sans se presser.
Le refuge est prisé des randonneurs car il est facilement accessible (650m D+, 5km) et offre un superbe point de vue du le Glacier Blanc. Mais le fait d’être en semaine nous permet d’être assez tranquille, nous serons une petite trentaine au lieu des 130 du WE précédent. C’est Maria qui nous informe, une cafiste d’Annecy qui fait la saison au refuge. On en profite pour s’approprier les lieux et déposer toutes les affaires qui ne serviront pas pour la journée. Sans perdre de temps, on repart pour l’ascension de la journée. Lili, Pilou et Xavier partent dans l’Arête des Cinéastes (3205m), une très belle course que j’ai fait avec Manon il y a 2 ans de cela ; Romain, Geof, Sylvain et moi partons pour la voie « Marcel Molinatti » qui serpente à travers la face Sud de l’Aiguille Pierre Étienne (2967m). C’est un sommet qui ne paie pas de mine de prime abord, mais qui offre une très belle vue sur le bassin du Glacier Blanc et la Barre des Ecrins au fond.
Nous mettons 30 minutes pour rejoindre le pied de la voie. Je fais cordée avec Romain ; on s’équipe et j’attaque les deux premières longueurs en 4b. La voie n’est pas équipée, il faut donc protéger l’ascension avec des coinceurs. Le rocher est assez compact, il n’est pas toujours facile de trouver des fissures permettant la protection et je dois un peu engager entre chaque point. Heureusement que ce n’est pas très dur. Romain poursuit dans la première des 4 longueurs en 5a ; la paroi se raidie mais les prises sont assez bonnes. Je reprends la tête et passe un ressaut physique mais bien protégé par des pitons laissés là par des précédents grimpeurs. Un piton est un ancrage planté à l’aide d’un marteau dans une fine fissure et dans lequel on peut clipper une dégaine.
La longueur suivante (toujours du 5a) donne du fil à retorde à Romain ; le rocher est si compact qu’il n’offre quasi aucune possibilité de protection ; il doit grimper au moins 8m au-dessus de son point avant de trouver une fissure salvatrice. Il vérifie minutieusement chaque prise avant de mettre son poids dessus pour éviter les mauvaises surprises. Un moment de grande concentration. Enfin, je fais la dernière longueur en 5a et on débouche sur l’arête que l’on remonte en corde tendue jusqu’au sommet. La vue est exceptionnelle et comme on a mis moins de 2h30 pour l’ascension, il nous reste du temps avant le mauvais temps ; on profite du spectacle et on avale quelques nourritures.
On profite, on profite, mais comme dirait un de mes mentor du CAF, « on n’est pas d’ici ». On s’engage sur l’arête N et on débouche rapidement sur des sangles de rappel. Un rappel de 25m nous amène dans un pierrier, que l’on descend pour rapidement trouver des névés. Le chemin de descente est encore bien enneigé, c’est une bonne nouvelle on va pouvoir bombarder ! On s’engage en ski-chaussure dré dans l’pentu ; c’est fun, beaucoup moins pénible que de marcher dans les pierriers et efficace ! On est de retour au refuge en seulement une quinzaine de minutes ; 12h30, on est en avance sur l’horaire, on va pouvoir profiter de l’après-midi.
Avant de jouir des plaisirs du refuge, on passe à la douche : en caleçon devant la terrasse, sous le tuyau d’où jailli l’eau fraichement sortie de la fonte des neiges. C’est frais mais revigorant et quel plaisir de se sentir propre ensuite ! Puis vient la traditionnelle pinte d’après course ainsi que quelques collations. On attend bien 2h l’autre groupe qui rentre avant que le temps se gâte, très content de leur journée également ; on en profite pour remettre une tournée. Puis l’après midi pluvieux sera consacré à des jeux de société, au sec dans la salle commune ; une autre façon de profiter de ces lieux d’exception. On potasse également les topos du refuge pour finaliser la décision de la course du lendemain. Avec l’aide de Maria qui nous permet de bénéficier de l’internet du refuge, on vérifie la météo qui ne nous réserve pas de grande nouvelle ; correcte le matin puis rapidement nuageux avec de bonnes probabilités de précipitations l’après-midi. Il nous faut donc une course qui ne nous demandera pas trop de temps ; notre choix se porte sur l’arête S du Pic du Glacier Blanc (3527m). Une course classique de difficulté moyenne qui se déroule dans le « cadre magnifique du Glacier Blanc » comme le vante les récits.
Le repas est servi à 18h30, c’est bon, c’est copieux et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on lui a fait honneur. On monte se coucher vers 20h30, bien repu, prêt pour une bonne nuit dans des lits très confortables équipé de couettes. Je pense parfois que le luxe en refuge dénature l’esprit que l’on vient chercher en montagne, mais quand je me glisse dans ce douillet cocon, je ne m’en plains pas.
Réveil 4h50 après une nuit pas si bonne que ça, comme souvent pour moi en refuge, mais pas pire non plus. Le petit déjeuner est sur la table ; on a déjà vu mieux : du pain blanc, de la confiture, des gâteaux… En gros, du sucre, du sucre, du sucre. Si les repas du soir sont souvent très bons, on est souvent déçu par le petit déjeuner en refuge je trouve.
On prend du temps pour partir, l’effet de groupe c’est terrible : on n’est pas prêt avant 6h. On attaque la marche d’approche d’un bon rythme sous le jour qui se lève. Dans notre dos, le Pelvoux se dessine au milieu des nuages, le soleil levant le pare de ses plus beaux reflets rougeoyants. Magnifique spectacle que je prends le temps de prendre en photo sous toutes les coutures. Il n’en a pas fallu plus pour me retrouver à la traine, les autres continuant d’un bon train devant. Je me sens un peu faiblard qui plus est, j’expérimente un soudain manque d’énergie. Pilou et Lili ne sont pas loin devant, je crois qu’ils ont pitié et qu’ils m’attendent. J’avance doucement mais surement, je ne suis pas tellement dans le mood ; j’en parle avec Pilou pour qui c’est le retour de bâton du pic glycémique lié au petit déjeuner. Il n’a surement pas tort, encore une raison de plus de ne pas les aimer. A ce moment-là j’avoue que je suis un peu ronchon, d’autant plus que le groupe de tête se trompe de chemin ce qui rallonge l’approche sur pierrier plutôt que de prendre facilement pied sur le glacier. On rejoint finalement ce dernier, où l’on se regroupe.
On s’équipe (crampons, baudrier) et je m’encorde avec Pilou et Lili. Le glacier est très parcouru, on marche sur une « autoroute » créée dans la neige par d’innombrables cordées. Il faut dire que nous sommes sur le chemin du Refuge des Ecrins, célèbre refuge d’alpinistes point de départ de la Barre éponyme et de nombreux autres itinéraires. Le risque de chute en crevasse est extrêmement faible avec qui plus est un très bon regel nocturne, mais nous nous encordons tout de même par acquis de conscience. Ma cordée se retrouve de nouveau distancée par ceux de tête, décidément ce n’est pas la grande forme ! On tergiverse sur la meilleure façon de rejoindre l’attaque de la course, on prend finalement le chemin le plus long ce qui me fait d’autant plus ronchonner. Heureusement que les couleurs matinales que l’on aperçoit entre deux nuages sont belles !
Je suis bien content d’arriver au pied de l’arête, après tout pile 2h de marche. C’est le temps indiqué dans le topo, je ne suis pas si lent finalement, c’est les autres qui sont rapide ! Romain et Geof sont déjà à l’œuvre dans la première longueur, un dièdre en IV qui permet de rejoindre le fil de l’arête 10m plus haut. On troque le matériel glaciaire pour celui de rocher et je laisse Lili et Pilou ensemble pour me greffer à la cordée Sylvain – Xavier. Nous passons en dernier, Sylvain part à l’assaut du dièdre, poursuit sur l’arête puis arrive à un bon relais où il nous fait venir. Avec Xavier, on aura attendu plus de 45 minutes immobile dans le froid, le soleil nous ayant quitté pour de bon et l’humidité ambiante n’arrangeant pas les choses. J’ai le visage fermé et je ne suis pas très bavard. Je suis soulagé de partir mais il me faut un peu de temps pour réveiller mon corps engourdi. L’ascension n’est pas très dure techniquement mais j’ai trop froid pour quitter les gants, cela ne facilite pas la tâche. Après deux pas un peu plus fin qui font transpirer, nous rejoignons Sylvain, qui repart sur le fil de l’arête. Je change progressivement d’humeur et quitte le mode ronchon, enfin ! Nous avançons tranquillement ; comme nous sommes 3 nous sommes un peu moins rapide que les deux cordées devant. La grimpe est très plaisante, cependant pour la vue on reviendra, nous sommes perdus dans le brouillard, rarement percé d’un timide rayon de soleil.
Alors que le brouillard devient de plus en plus épais, nous avons eu le droit à une invitée surprise ; de la neige, qui tombe du ciel sous forme de grésil, d’abord discrètement puis de façon plus importante, s’accumulant dans les recoins de rochers. L’ambiance est exceptionnelle, 3 fragiles cordées dans cet environnement austère à la merci des éléments, cela rend humble. Mais ce n’est pas le moment de tergiverser : on ne sait pas comment va évoluer la météo. Je prends le lead et j’essaie de nous faire gagner du temps. J’évite un gendarme par la droite et remonte droit dans la face Est en direction des autres. La neige finie par se calmer au moment où je rejoins l’arête. Cette dernière devient très effilée et aérienne, cela demande un peu de concentration mais c’est très esthétique. On arrive à un premier rappel ou on fait un peu la queue derrière les autres, puis on remonte une raide dalle en IV plus impressionnante que difficile, puis un second rappel avant d’attaquer le bastion final, plus facile.
12h30, nous foulons enfin le sommet, après prêt de 4h d’ascension où nous n’aurons pas chômé. Nous n’aurons pas plus de vue à 3527m que durant toute la montée, mais la beauté de la grimpe en valait la peine. Le temps de prendre une petite collation et de ranger le matériel et nous entamons déjà la descente. Petite anecdote : Romain nous racontait la veille avoir eu la déconvenue lors d’une récente sortie que sa corde, frottant tout du long entre le sol et un rocher sous lequel un alpiniste peu délicat s’était soulagé (visiblement il y a peu de temps), s’est retrouvé peinte en marron. Cela nous avait bien fait rire au refuge et j’y repense au moment où notre corde passe également sous un rocher lorsqu’on la love. Je souris puis tire dessus pour la déloger. La corde passe tranquillement sous le rocher et il me faut quelques temps avant de réaliser… Qu’il est en train de nous arriver la même chose ! C’est tout de suite beaucoup moins drôle, ça m’apprendra à me moquer ! Décidément les plus grands dangers ne sont pas là où on le pense. Quelle idée de repeindre la montagne pile poil au sommet plutôt que de se décaler quelques mètres plus loin…
La descente est plutôt facile mais demande un minimum d’attention. Après 50m de pierrier, nous rejoignons une courte crête de neige facile mais impressionnante car elle tombe à pic en flanc nord. Ensuite, une alternance de pierriers instables et de névés nous ramènera sur le plancher des vaches, au même moment ou le soleil refait son apparition et illumine l’arête sur laquelle nous nous trouvions. Décidément, la météo n’est vraiment pas avec nous ! Nous retrouvons le glacier où nous formons une grande cordée de 7, comme à la grande époque de la conquête des sommets des Alpes au Xième siècle ! Nous passons au pied de systèmes de crevasses grandioses, le Glacier Blanc a beau avoir fortement reculé ces dernières années, il n’en reste pas moins impressionnant. Finalement, nous retrouvons le refuge sans difficulté après une autre petite erreur d’itinéraire, dû à un manque d’attention.
De nombreux randonneurs sont déjà sur la terrasse pour profiter d’un repas du midi en altitude. Nous trouvons une place et nous posons quelques temps. Au loin, le vallon entre l’Ailefroide et le Pic Coolidge s’assombri et la pluie ne tarde pas à arriver. Elle se dirige dans notre direction, on arrête de trainasser. Après avoir rapidement rassemblé toutes nos affaires, nous entamons la descente d’un bon train. Notre objectif : arriver en bas au sec ! Par chance, le front pluvieux nous contourne et passe sur le Glacier Blanc par-dessus les montagnes. Ouf ! Mais… la pluie ne tarde pas à refaire son apparition, au même endroit ! On accélère de nouveau le mouvement, mais encore une fois, celle-ci passe directement sur le Glacier Blanc en nous esquivant. On atteindra la voiture après 1h de descente, sec ; mission accomplie 😊
Une fois n’est pas coutume, on s’entasse a 7 dans le fourgon jusqu’à Ailefroide ou nous nous arrêtons à la crêperie pour une collation bien mérité. Et quelle crêperie ! D’excellentes crêpes originales servies avec des frites home made croustillantes, il fallait bien ça. Une fois repus, retour au campement pour préparer la suite de l’expédition, qui sera sous le signe d’une météo plus clémente… 3 jours de beau sont annoncés, il faut en profiter ! Ce sera refuge du Pelvoux ou Refuge du Sélé, pour gravir l’Ailefroide, Sialouze ou le Pelvoux… Que des beaux sommets d’altitude que l’on peut rejoindre par de multiples voies, mais pas assez de temps pour tout faire, il va falloir faire un choix…
La suite du récit dans quelques temps…
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