GF’s Base Camp Ailefroide #1

Neuf jours, un camp de base, des copains, des bières (un peu), des courses d’alpinisme & d’escalade (beaucoup), voilà les maîtres mots de ce GF’s Base Camp 2021. GF pour Grimpeurs Fous, le nom de notre groupe d’amis.

Après l’édition de l’année dernière à la Bérarde, nous retournons dans les Ecrins, à Ailefroide, porte d’entrée sur la Barre des Ecrins (4102m), le Pelvoux (3943m), l’Ailefroide (3954m, montagne éponyme) et nombre d’autres sommets et itinéraires d’envergures. C’est un des grands lieux de l’alpinisme en France, mais aussi depuis quelques dizaines d’années de l’escalade sportive notamment grâce à Jean Michel Cambon, passionné de la pratique, qui a équipé de nombreuses voies dans le secteur…

Equiper une voie, c’est disposer des pitons à expansion (plus communément appelé « spit ») tout du long de l’ascension, afin de retenir une chute. On trouve ces spits tous les 1m lorsque c’est équipé très rapproché à… plus de 10m quand c’est équipé très aéré. On comprend facilement que plus l’équipement est espacé, plus la chute potentielle sera importante. En général, les parties difficiles d’une voie (aussi appelés « crux ») sont équipés rapprochés et les parties les plus faciles sont plus espacées. Enfin, il n’y a pas de norme, c’est au bon vouloir de l’ouvreur. Être dans un passage difficile en ayant un point a son niveau, ou être dans ce même passage avec un point 3m en dessous, le ressenti n’est pas le même ! La chute potentielle est de deux fois la distance du dernier point au baudrier, multiplié par deux, plus l’élasticité de la corde. Dans le cas précédent, on se retrouve facilement huit mètres plus bas.

La personne en tête de cordée clippe des dégaines (deux mousquetons reliés par une sangle) dans les spits et clippe la corde dans le mousqueton libre. Le second les récupère lorsqu’il monte afin de ne pas laisser de matériel dans la voie. Dans le cas d’une grande voie (plusieurs longueurs), des relais sont disposés à espacement régulier (tout les 20 à 50m, une corde faisant généralement 50m) afin de permettre au premier de faire venir son second, puis au second d’assurer le premier et d’éviter ainsi que les deux grimpent en même temps. Dans ce cas, on parle de « corde tendue », c’est une pratique réservée pour les passages ou on est techniquement à l’aise car la progression y est plus compliquée et la chute douloureuse… Les relais sont composés de deux spits reliés, sur lesquels on se « vache », c’est-à-dire on s’accroche avec une sangle. Le principe de base de la sécurité en escalade, c’est d’avoir toujours au moins deux points qui nous sécurise, en cas de casse d’un point, l’autre est encore là.

Je ferme ce petit aparté, j’en reviens à ce fameux Jean Michel, un sacré personnage dont l’humour perçant empreint ses différents livres topos, a équipé des centaines de voies dans les alentours d’Ailefroide. Equiper une voie demande beaucoup de travail (trouver la ligne, se tromper, chercher à côté… ; nettoyer la paroi de l’herbe, des arbustes, des cailloux, des blocs instables… ; puis l’équiper avec les ancrages). Ainsi équiper des centaines de voies, c’est le travail d’une vie et peu d’autres en ont fait autant. Parfois seul, parfois entouré de ses amis et de sa famille, c’était sa passion et il en est malheureusement mort l’année dernière, en rééquipant une voie sur les hauteurs de Grenoble, à 68 ans. Je rends hommage à ce drôle de personnage et à ce qu’il a fait pour le monde de l’escalade.


Ailefroide a beaucoup changé depuis son passage, c’est désormais un vrai repère de grimpeurs. Nous voilà donc, Giada, Geof, Pilou, Lili, Romain, Sylvain, Xav & moi, se retrouvant au camping vendredi 25 juin au soir. Manon est malheureusement encore coincée en Angleterre. Nous avons déjà repéré quelques courses, mais comme toujours en montagne, la météo a le dernier mot. Pour l’instant il fait très beau samedi puis pas terrible les jours suivants.

Plutôt que de perdre un jour à monter en refuge pour être sous la pluie le dimanche, nous choisissons tous un itinéraire au départ de la vallée. Pilou & Lili, deux bons grimpeurs (niveau 7a / 7b, cad bien meilleur que moi) partent dans les Tenailles de Montbrison, une impressionnante falaise verticale, pour y faire une grande voie d’envergure qui leur prendrons plus que la journée (départ camping 7h, retour 22h30). Sylvain & Xav partent dans la même falaise pour y faire une course plus accessible mais toute aussi longue. Giada et Geof se font une grande voie au-dessus du camping, tandis que Romain et moi préférons ajouter un aspect montagne à la grimpe pure et dure ; nous visons un sommet sous le Pelvoux, qui ne paie pas de mine à première vue mais qui offre 500m de belle grimpe en face nord, dans un cadre grandiose : l’Aiguille du Grand Laus (2801m)

Le rocher est très compact et guère propice à la pose de coinceurs, la voie a ainsi été entièrement équipée par… je vous le donne dans le mille, Jean Michel Cambon ! Le nom de la voie : Le Bonheur est dans le Pré, niveau 5b max et ambiance « montagne ». On ne prend pas les chaussons d’escalade, on fera toute l’ascension en grosses chaussures d’alpinisme pour plus d’authenticité ; on est là pour faire de la montagne après tout ! A ce sujet, le topo met en garde :

  • Il s’agit bien là d’une véritable course et non d’une escalade avec approche en sandale et retour en rappel. Les vires d’approche demandent le pied marin et sont franchement casse-gueule si c’est mouillé ou seulement humide. La descente est paumatoire.
  • Si le niveau annoncé ne dépasse pas le 5b, les points sont souvent loin et l’escalade très longue, il faut pouvoir partout grimper à l’économie et ainsi avoir de la marge dans le niveau

Une approche et un retour long, exposé et paumatoire, 500m d’escalade avec des points souvent espacés, on n’est pas parti pour une promenade de santé de 2h. Cela dit, on part relativement léger étant donné qu’il n’est pas nécessaire de poser nos propres points, c’est un gain de temps certain.


Départ du camping à 6h30, direction le célèbre pré de Mme Carle. On gare la voiture peu avant, départ 6h50 en direction d’un raide névé que l’on remonte en crampons. On laisse ces derniers arrivés au-dessus du névé pour ne pas s’alourdir car la suite devrait être sèche et on remonte une sente au milieu de vernes (petits arbres) comme indiqué dans le topo. Après avoir remonté une centaine de mètres il faut se rendre à l’évidence, on n’est pas au bon endroit ! On lit le topo attentivement, on cherche autour de nous et ont fini par voir les cordes fixes que l’on doit rejoindre 200m plus à droite. Si proche et pourtant si loin, une falaise nous en sépare, nous devons redescendre jusqu’au névé puis remonter un couloir en neige dure pour en parvenir au pied. On a bien gagné 45 minutes ahah.

La suite est en escalade facile mais la chute est interdite, on s’encorde histoire de dire sur 50m. Puis on remonte des pentes d’herbe en longeant les contreforts des Rochers du Grand Laus. Enfin, on arrive au niveau de grandes dalles surplombant une falaise de 200m. On progresse d’un pas sur, on n’a pas envi de glisser. Les dalles mouillées par la fonte des neiges donnent parfois un peu de fil à retorde, mais on arrive finalement au pied de notre voie. On met un peu de temps à trouver les premières longueurs, pas facile de repérer des petits morceaux de métal au milieu d’un champs de dalles. Finalement on y est, après 2h45.

 Je pars à l’attaque de la première longueur, puis enchaine en corde tendue sur la seconde. On est en plein soleil, c’est agréable. Romain attaque en tête la première longueur en 5b (le plus dur que l’on rencontrera sur la journée), à l’ombre et s’en sort en lançant quelques pas athlétiques. Je reprends la tête, puis Romain, etc… Le rocher est globalement bon et l’escalade très intéressantes. L’équipement n’est pas rapproché mais pas non plus abusivement loin, on ne compte pas tomber de toutes façons ! On arrive finalement à la fin des grosses difficultés (dernière longueur de 5b), il ne reste plus que du 4c, soit du plus facile. On se relâche – à tort.

La suite sera en effet encore longue – encore 7 longueurs. On fera la majorité de la grimpe en corde tendue pour gagner du temps, le niveau à beau être modéré, l’escalade est très conti (c’est-à-dire sans repos, ça grimpe tout du long) et demande à certains moments pas mal d’attention, tout cela dans un équipement plutôt espacé (en moyenne 5 à 6m, jusqu’à plus de 10m). Comme je disais en début d’article, l’escalade en corde tendue est une pratique qui permet aux deux grimpeurs d’escalader en même temps plutôt que chacun son tour, séparé par une certaine longueur de corde (dans notre cas, 50m). Lorsque le premier avance, le second avance également, afin de laisser la corde la plus tendue possible pour éviter un gros choc en cas de chute. Cela fait gagner beaucoup de temps, ce qui n’est pas négligeable sur une course de cette longueur. Cependant, étant donné que les deux grimpeurs doivent progresser à la même vitesse, il n’est pas rare de devoir attendre dans un passage physique et / ou malcommode. De plus la chute peut faire mal, très mal… Si le premier chute alors que la corde est bien tendue (comme c’est censé être), alors il n’y a pas tellement de différence avec la configuration classique de tirer des longueurs (le second est attiré vers le haut, ce qui n’est pas très dérangeant). Cependant, si le second tombe, le premier sera éjecté vers le bas jusqu’à arriver au dernier point qui arrêtera la chute de la cordée. Si celui-ci est 10m plus bas, la chute sera de 10m sur lesquels il raclera le rocher, tiré vers le bas par le second. C’est une situation que l’on doit éviter à tout prix dans cette configuration. Comme souvent en montagne, c’est une question de compromis : gain de temps vs sécurité. Sachant que le gain de temps est aussi synonyme de sécurité (temps passé exposé aux chutes de pierre, changement de météo…), c’est une équation que chacun résout selon son niveau de risque acceptable.

Nous passons à l’ombre par moments, il ne fait pas chaud. Mais la vue qui se découvre au fur et à mesure de l’ascension nous fait vite oublier ce désagrément ; nous faisons désormais face au glacier des Violettes et à l’esthétique arête éponyme menant au Pelvoux. Tableau grandiose dont nous sommes aujourd’hui les seuls privilégiés à en profiter, il n’y a pas un chat dans le secteur à part nous deux ! Après 4h30 d’escalade sans prendre de pause, nous arrivons devons l’arête sommitale qui permet de rejoindre facilement ce dernier en quelques minutes.

Le spectacle est à la hauteur de l’investissement, la vue est grandiose, nous en profitons pour nous accorder une petite pause pour recharger les batteries ; la descente s’annonce longue. Si du côté de notre ascension il y a 500m de vide, de l’autre côté une petite descente de… 20m nous permet d’accéder à un large col. En même temps il est loin le temps ou le seul but était d’arriver au sommet par n’importe quel moyen, de nos jours l’esthétisme du chemin prime.

Le début de descente se fait facilement, il reste encore de larges névés décaillés qui nous permettent de pratiquer la ramasse (c’est à dire skier avec les chaussures) ; c’est ludique et ça va vite ! Le cap est assez facile à suivre. Nous arrivons au-dessus d’une barre rocheuse, après quelques hésitations nous descendons par un cheminement un poil exposé, au plus simple dans des dalles rocheuses. 100m plus bas, on retrouve la neige, puis un semblant de chemin, quelques kairn…

Après 1h45 de descente, nous nous retrouvons au final au-dessus du névé du début, là où nous avions laissé nos crampons, souvenez-vous… Sauf que, chose incroyable, ils ne sont plus là ! On cherche partout autour, on regarde plus bas s’ils sont tombés, rien. Il faut se rendre à l’évidence, un sanglier métalophile est passé par là ! Ou plus vraisemblablement, un touriste s’est cru au Vieux Campeur. Pourtant quasi personne ne passe par là normalement, seul quelques départs de courses d’alpinisme demandent de prendre cet itinéraire. Un alpiniste qui vole un alpiniste, on aura tout vu. Alors que je me fais une raison (il y en a quand même pour 100 à 130€ par paire de crampon), Romain aperçoit deux silhouettes en bas du névé. On n’a rien à perdre, je hurle

  • « HEEEEEE !!
  •  ???
  • C’EST VOUS QUI AVEZ NOS CRAMPONS ??
  • Oui ! »

Moi en off : bordel de merde de con de monchu

  • OK, LAISSEZ-LES EN BAS ON ARRIVE ! »

Je les vois au loin prendre quelque chose dans leur sac, mais pour être sûr, je prends mon piolet et j’attaque la descente tout debout. Romain, moins à l’aise sur la neige va à son rythme. Je descends bon train, le névé est dur et technique. La pente augmente un peu (jusqu’à 40° environ), je perds l’adhérence sur une partie gelée et me retrouve à glisser sur le ventre. Je m’arrête au piolet et reprends ma descente effrénée. Le final est vraiment gelée, je marche sur des œufs mais fini finalement par rejoindre le bas du névé. Les deux gus ne nous ont pas attendu, je leur demande de loin où ils ont laissé les crampons, prêt à leur courir après si je ne les trouve pas. J’étais bien plus à l’aise qu’eux dans le terrain à chamois dans lequel on évoluait, je pourrais les rattraper facilement. Mais je passe du temps à trouver la première paire, sur les bords d’une autre sente que celle que j’avais prise, puis encore plus de temps à trouver la seconde paire. Il n’aurait pas pu nous attendre sans déconner ? J’aurais bien voulu avoir une petite discussion avec eux ; d’une part c’est du vol et d’autre part, quelqu’un de moins à l’aise sur neige et/ou sans piolet aurait pu se retrouver bloqué en haut… ou se faire très mal à la descente. Mais le temps qu’on trouve les crampons, ils avaient filé. Et on aurait surement eu le droit à une explication bidon. BREF, ça fini bien et on retrouve la voiture avec Romain.

De retour au camping, après avoir raconté nos péripéties, on mange tôt et se couche tôt, tout le monde est fatigué… Et ce n’est que le début du séjour ! On n’attendra même pas pour se coucher le retour de la team Montbrison qui rentrera fourbue après 22h30.


La météo du dimanche est maussade, des précipitations sont annoncées pour le début d’après-midi, avec potentiels orages en fin de journée. On ne va pas s’engager dans une grosse entreprise, nous resterons aux alentour du camping. Nous nous répartissons en 4 cordées, chacune dans une grande voie. Aujourd’hui, je grimpe avec Lili, qui est bien contente de faire du facile après sa grosse journée de la veille… Enfin, du facile pour elle, c’est du difficile pour moi !

Nous partons pour « Achtung! », une grande voie de 9 longueurs en 6b+ max dont le départ est à 30 minutes à pied de la tente. Pour comprendre le système de cotation, vous pouvez regarder sur Internet, Wikipédia par exemple. J’ai un niveau 6a confirmé, 6b en cours de travail.

Les premières longueurs en 5c déroulent bien, quelques pas sont plus fins que les autres mais sans que cela pose trop de difficulté. Un passage déversant en 6a est finalement plus impressionnant que dur. Puis encore un 5c pour arriver devant une dalle bien raide en 6a, dans laquelle je me lance en tête. C’est long et c’est conti, l’équipement n’est pas vraiment espacé (un point tous les 3 / 4m), mais quand on met tout son poids sur un appui de pied a peine palpable, ça fait cogiter ! Je suis 100% focus et j’arrive finalement sous un petit surplomb. Je cherche à passer par la gauche, puis par la droite, je n’y arrive pas, je n’ai pas de main, je suis bloqué ! Bon tant pis, j’empoigne à pleine main la dégaine que je viens de clipper et me hisse grâce à elle. Pour le style on repassera, mais au moins j’y suis arrivé 😉.

J’arrive au relais et fait venir Lili, qui négocie la difficulté avec un joli pas athlétique. Après vérification, la cote était de 6b et pas 6a, ça me réconforte. Au-dessus de nous, les nuages deviennent de plus en plus gris, mais ça semble encore tenir. Lili repart en tête dans un 5c facile, puis dans un 6b+ d’abord très lisse (tout en finesse !) puis à travers un surplomb très déconcertant que je ne passerais pas non plus en libre… Il y a du progrès à faire ! On enchaine rapidement la dernière courte longueur en 5c et on attaque le premier rappel. Quelques gouttes tombent. On évite de coincer la corde dans un gros cèdre lorsqu’on la rappelle et on enchaine. Il ne pleut finalement plus. Lili en profite pour récupérer les lunettes qu’elle a fait tomber dans la montée ; c’est ça d’être trop à l’aise, personnellement j’ai tellement peur de faire tomber quelque chose que ça ne m’arrive jamais. L’avant dernier rappel est grandiose, on se retrouve d’un coup en fil d’araignée devant un énorme surplomb. Puis retour au sol et hop, au camping après une bonne demi-journée.

Je n’ai pas pris de photos ; le téléphone n’est pas sorti du sac.

Nous n’aurons finalement pas d’averse de la journée, mais on ne regrettera pas l’après midi passé confortablement sous la tonnelle, autour de quelques bières et potassage de topo pour les prochains jours 😊. La météo annonce encore deux journées compliquées (nuageux le matin, averses / orage dès le milieu de journée), puis ça s’améliore. Comme on ne compte pas rester au camping toute la semaine, on décide de rejoindre le lendemain le Refuge du Glacier Blanc. La marche pour y accéder n’étant pas très longue (environ 1h45), nous partirons tôt afin de faire une course sur la demi journée et rentrer avant 14h. Pour moi, Romain, Geof & Sylvain, ce sera la voie « Marcel Molinatti » qui monte à l’Aiguille Pierre Étienne (2967m), un petit sommet au dessus du refuge ; pour le reste de l’équipe, les Arêtes des Cinéastes, une jolie course que j’ai fait avec Manon il y a 2 ans de cela.

Le récit prochainement…


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