La Nonne

Ce n’est pas le sommet qui compte, c’est la manière d’y arriver. C’est en tous cas l’avis des 6 inscrits sur la collective « Belle bambée à confirmer ». On ne sait pas où on va, mais on sait qu’on va passer une belle journée en montagne.

Je n’avais alors aucune idée d’où aller, pas plus que Marie, qui encadre avec moi. Allez faire un tour du côté des 4000 Suisse ? Des Ecrins ? Ça fait loin pour 2 jours. Aiguilles Rouges ? Belledonne ? Mmmh j’avais en tête une approche glaciaire. Bon on ne va pas chercher original, allons du côté du Mont Blanc. J’évite d’habitude ce massif que je trouve trop peuplé, mais il faut admettre qu’il regorge de belles choses à faire.

Après quelques recherches, une course nous fait de l’œil : la traversée de la Nonne au-dessus du refuge du Couvercle. On ne connait pas le secteur, mais la description nous donne envie : « Belle classique en bon rocher », « Belle course variée ». Eh bien allons voir ! Un coup d’œil aux (nombreux) retours de sortie confirme qu’on s’engage bien sur une belle bambée ; nombreuses sont les cordées à exploser l’horaire. A 8, on ne fera pas mieux. Je surveille la météo ; il est annoncé grand beau mercredi et jeudi, mais après plusieurs semaines de canicule, il neige lundi et mardi. Et pas qu’un peu, jusqu’à 50cm annoncé sur les hauteurs ! Le gardien confirme que tout est blanc autour du refuge. J’appelle Marie ; qu’est-ce qu’on fait ? Ça va fondre avec le soleil de mercredi, non ? Allez, on tente !

 

Ainsi, direction Chamonix ce mercredi 9 juillet pour sauter dans le premier train du Montenvers de 8h30. Ah ba non, le premier train part sous nos yeux à 8h. Ça commence bien, incapable de lire un horaire correctement sur un site internet ! Rien de bien grave, on a toute la journée pour monter au refuge. On arrive finalement à la gare du Montenvers et sa vue plongeante sur ce qu’il reste de la mer de glace, panorama à la fois magnifique et désolant. On descend rapidement la nouvelle via ferrata et on remonte cette mer de cailloux en direction du site école. Étant donné que nous avons 3 participants du cycle découverte et qu’une révision ne fait de toutes façons jamais de mal, nous en profitons pour voir ou revoir quelques techniques : pose de broche à glace, confection d’un abalakov, cramponnage sur glace en toutes pentes, encordement sur glacier, mise en place et utilisation d’un système de mouflage pour le secours en crevasse. Un programme bien chargé que nous avons fait tenir en 2h.

Après une pause casse-croute bien mérité, nous repartons en direction du refuge. Nous parvenons à reprendre pied sur le milieu du glacier par un passage scabreux, que nous suivons jusqu’à repérer la grande marque jaune indiquant les échelles. On les rejoint en traversant la pénible moraine de la rive droite. L’ascension des échelles est longue, personne n’a compté les barreaux, mais la moraine que nous venons de quitter s’éloigne de plus en plus sous nos pieds. L’ensemble du groupe est à la l’aise aussi nous évoluons non encordé. L’ambiance est vertigineuse, la concentration est de mise.

La suite du chemin est un mélange de sentier bucolique au milieu des fleurs, de parois rocheuses avec échelles (encore !) et de traversées de torrents, toujours à flanc de montagne. Et nous sommes surtout plongé au cœur du massif du Mont Blanc, grandiose, imposant, majestueux, magique presque. Devant nous sa Majesté les Grandes Jorasses qui jouent à cache-cache avec le relief. On discute des voies mythiques de la face nord qui nous fait face. Il suffit d’un coup d’œil pour comprendre qu’il faut être bien accroché pour s’y risquer. Quant à oser skier le Linceul… Brrrr ça me fait froid dans le dos ! Bien d’autres montagnes emblématiques complètent le tableau, la Dent du Géant, les nombreuses Aiguilles de Chamonix, les Mont Blanc du Tacul et Maudit, la trilogie Tour Ronde – Entrève – Toule ou encore l’imposante Aiguille du Tacul.

 

On arrive en vue du refuge, l’ambiance change. La verticalité laisse place à une vaste étendue d’herbe, de roche et de glace. On a une vue directe sur l’arête S du Moine, la neige de la veille a déjà bien fondue, le soleil a fait son office, c’est rassurant. Notre objectif du lendemain à la même orientation et altitude, on peut se permettre le parallèle.

Il est 16h quand nous atteignons finalement le Refuge du Couvercle, soit 7h après être parti. On a beau avoir pris du temps pour les exercices, l’approche n’en reste pas moins assez longue. Le Refuge a été rénové récemment, il s’incruste joliment dans le paysage et il est très confortable. Quant à la vue de la terrasse, difficile d’en demander plus !

« Jamais fatigué ». Le repas est servi à 19h, aussi nous profitons du temps qui nous reste pour monter s’entrainer sur le site de couenne au-dessus du refuge. La grimpe en grosse sur dalle de granite compact, ce n’est pas évident ! Mais c’est un bon exercice pour faire confiance à ses pieds. On revient au refuge à 18h30, juste à temps pour profiter de la fameuse « bière de récup » avant le diner. On discute avec le gardien, aujourd’hui une cordée du PGHM a fait demi-tour dans le Moine du fait de la neige. Il n’a pas de certitude sur ce qu’on va trouver demain. Il nous conseille un levé 4h, car la journée va être longue. Pas de soucis, nous sommes prêts !

 

3h55, les premiers bruits dans le dortoir me font sortir de ma torpeur. Je ne dors jamais bien en refuge et cette nuit n’a pas fait exception. Le petit déjeuner est bon, mais à cette heure il faut se forcer à manger. On prend notre temps, nous partons du refuge à 5h. 5h05, Marie à la présence d’esprit de demander : « qui a une corde ? » 3 mains se lèvent. OK, il en manque une ; retour au refuge. Merci Marie !

L’approche est rapide, le regèle de la neige récente est bon et son accroche est excellente, nous n’avons pas besoin des crampons. Notre itinéraire se découvre au détour d’un éperon. Vu d’en bas ça n’a pas l’air si long, mais méfiance. En tous cas, si ce n’est le râteau de chèvre de la traversée finale qui est recouvert de neige, on ne voit pas beaucoup de blanc, c’est rassurant. Devant nous une cordée de 2 partie 15 minutes avant nous. On les rejoint au pied de la voie, ils ne savent pas par où passer. L’accès à l’éperon classique est rendu un poil scabreux par la fonte du névé et l’accès à la cheminée en rocher douteux de l’itinéraire bis est délicat, il faut sauter une roture bien écartée. Le temps qu’on s’équipe ils finissent par s’élancer dans l’éperon classique. On les rejoint par un pas athlétique.

On remonte le long d’un éperon jusqu’à une brèche qui marque le début de l’arête S. La grimpe n’est jamais très dure, mais assez continue, on tire des longueurs. Je suis encordé avec Alex et Eleonore, s’en suit la cordée de Johann (co-encadrant) et Annabelle, puis Marie, Sylvain et Mathilde qui ferment la marche. Le rocher est bon, sauf quand on retrouve un couloir neigeux branlant pour éviter des rochers enneigés. On prend pied sur la brèche à l’aide d’un pas physique. On profite du soleil en attendant les autres cordées. En général je n’aime pas attendre en montagne, mais étant donné les conditions du jour, je suis content d’avoir du temps pour profiter et je ne râle (presque) pas.

On continue l’ascension, une courte désescalade, s’en suit une arête effilée, puis on contourne un petit gendarme afin d’arriver au pied des longueurs clés. Deux options, la version « grimpe » et la version « montagne ». On s’engage dans la version grimpe ; effectivement c’est plus soutenu ! J’entends mes camarades de cordée souffler derrière, voire carrément râler. Il faut dire que pour deux débutants en alpinisme, c’est une belle course ! Un dernier ressaut raide aura raison de l’un d’entre eux, qui s’exclamera « mais y’a rien qui va ici » avant de finalement franchir le passage difficile sous les encouragements. Et finalement, le sommet ! Le sommet du premier des trois gendarmes sommitaux tout du moins. La cordée de Johann nous rejoint tandis que Marie a contourné les difficultés du premier gendarme afin d’aller s’amuser dans le troisième, celui qui a la forme toute particulière donnant son nom au sommet.

Une descente en rappel de 25m nous amène sur une confortable vire sous les gendarmes, sur laquelle nous profitons d’un repas bien mérité. Il est déjà 12h, nous avons passé plus de 6h pour monter ici, ce qui, bien que non étonnant, n’est pas très rapide. La traversée n’est pas terminée, mais étant donné que nous devons rentrer en vallée ce soir, nous décidons d’écourter l’aventure. D’autant plus qu’on devrait rejoindre le glacier par du terrain à chamois pourri qui ne me dit rien qui vaille avec la neige récente. Le gardien a récemment équipé une ligne de rappel sous le sommet, nous l’empruntons. Il nous faudra tout de même 2h20 pour rejoindre le glacier. Encore une fois, à 8 dont certains débutants, tout prend du temps ! Mais c’est pour ça qu’on est là. Le passage de la roture sera bien cocasse, chacun sa technique pour franchir le mètre qui sépare la roche de la neige.

La descente vers le refuge est efficace dans les névés, en 30 minutes nous sommes de retour. On remarque facilement les skieurs, à l’aise en ramasse dans la descente. Mention spéciale à Marie, éternelle enfant, qui va jusqu’à faire des grandes traversées pour quelques moments de glisse supplémentaire, exultant son bonheur.

Après avoir rangé le matériel de grimpe, récupéré ce que nous avions laissé au refuge et avalé quelques nourritures bienvenues, il n’est pas loin de 17h, soit 12h après être parti ce matin quand nous débutons la descente. Le dernier train étant à 17h, il semble peu probable que nous arrivions à temps… C’était de toute façon prévisible, nous n’avions pas pris de billet pour le retour. On nous souhaite bon courage au refuge, où plusieurs groupes passent une nuit supplémentaire pour descendre tranquillement demain. Ça se tient, mais demain, on bosse ! Nous sommes évidemment fatigués de la journée, mais tout le monde a encore suffisamment la forme pour aborder sereinement la descente.

On reprend le sentier de la veille en sens inverse, tout comme la montée, la descente est longue. On fait particulièrement attention dans les échelles ; personne ne veut un brin de corde ? Certain ? Bon eh bien on y va prudemment. La hauteur est d’autant plus impressionnante à la descente. On retrouve la moraine, puis le glacier, le glacier, et encore le glacier. Parfois en cailloux, parfois en glace. La gare d’arrivé de la télécabine de la Mer de Glace se rapproche. On remonte les échelles côté Montenvers, peu avant d’arriver à la gare on bifurque vers la buvette des Mottets, puis c’est la longue, très longue traversée jusqu’au parking, que l’on atteindra à 21h45. Les pieds sont en compote, les jambes lourdes, mais personne ne s’en plaint ; on sait très bien qu’à peine reposé, on voudra repartir !

Après pas loin de 17h de course, la majorité aura voté contre la bière de récup pour rentrer immédiatement, aussi nous prenons rapidement la route. Merci Annabelle d’avoir conduit au milieu des dormeurs et merci à tous pour ces 2 belles journées en montagne !


Commentaires

5 réponses à “La Nonne”

  1. Merci Joris ! 🙏🏻

  2. Merveille des merveilles ! Quelle volonté et quel courage ! Mais aussi quelle récompense… Des vues à couper le souffle…et les jambes. Un grand bravo à vous et aussi merci de nous en faire profiter mon Joris

  3. Avatar de Sylvain
    Sylvain

    Merci pour ton récit Joris, on revit l’aventure à travers cette lecture et ces photos. Vivement la prochaine 🙂

  4. Avatar de Vincent
    Vincent

    Merci Joris pour ce nouveau récit dans les conditions du direct!

  5. Je découvre agréablement qu’on peut laisser un commentaire. Un splendide paysage doublé de magnifiques vues.

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