WE Sanglier J2 – Grand Couloir W du Buet

Première partie du récit à ce lien.

De retour à la maison après la journée à la Pointe de Tricot, je retrouve Clément, Triquet et Aurélie déjà à l’apéro. Car oui, j’héberge les copains de Compiègne qui sont à Annecy le WE pour skier. Je suis bien claqué de la journée, mais à ce qu’on dit, la bière ça requinque, non ? Qui plus est, la nuit s’annonce courte, comment mieux se préparer pour la grosse bambée du lendemain ? Le topo annonce « Itinéraire d’envergure qui demande de l’engagement ». Et en général ils ne rigolent pas dans les topos de ski de pente raide. Les mecs qui les écrivent se mangent 3000m de dénivelé au petit dej’ avant d’enchainer sur un marathon en moins de 3h histoire d’être rentré à 18h pour l’apéro. Bon, on sait pourquoi on signe au moins, on va en c****.


Le réveil sonne à 5h, après moins de 4h de sommeil, j’ai eu du mal à m’endormir la veille. Bon je ne suis pas au top de ma forme, mais ça va le faire ! Je suis prêt en moins de 10 minute et rejoins Pilou et Antho – un ami de ski de Pilou – en bas de l’appart. Nous filons pour le Chablais, on passe devant la maison de Papa à La Rivière Enverse et on se gare au parking de Salvagny, tout proche de Sixt-Fer-à-Cheval. Pour la petite histoire, on aurait du dormir à la Rivière-Enverse pour gagner du temps de sommeil mais… J’ai laissé les clefs dans ma voiture, que Manon a prit pour la semaine. Dommage !

Départ à 7h10 du parking, nous suivrons une route carrossable fermée l’hiver jusqu’aux Chalet des Fonds. La route a beau être interdite à la circulation, elle n’est pas tellement enneigée pour autant… On commence avec beaucoup d’optimisme les skis aux pieds, mais on se rend rapidement à l’évidence qu’il faudra porter. Et pas qu’un peu, on retrouve la neige après 2km de marche. Encore 3km pour rejoindre les Chalets. En ski, c’est long ! D’autant plus que la route est barrée par d’énormes coulées de neige durcie difficilement praticables. Nous mettons 1h30 et avons gravi seulement 450m de dénivelé.


Passé les chalets, nous nous engageons rapidement dans le vallon des Beaux Prés, qui monte tranquillement. Nous passons devant un panneau de randonnée indiquant 5h30 pour le sommet. Bon, on n’est pas rendu. Nous sommes seuls depuis le début et ne voyons désormais plus de trace de passage, ce n’est pas un lieu très fréquenté.

Une fois n’est pas coutume, le fond de vallon est entièrement bouché par des coulées d’avalanche, rendant la progression difficile. Nous avons à peine monté 700m depuis le départ et j’ai déjà les jambes lourdes, la journée (et la soirée !) de la veille n’aident pas. Nous tentons une variante en grimpant une pente de neige a pied afin d’éviter la partie tumultueuse. Pari gagnant, la suite est plus facile. La neige est gelée, les couteaux sont les bienvenus. Je remets encore une fois les skis sur le dos sur une centaine de mètres plus raides. Puis le paysage s’élargit, nous arrivons dans un grand espace ou je peux remettre les skis aux pieds. La suite se devine facilement à notre gauche, mais nous n’aimons pas la tête que cela a. Une grande pente de neige au soleil surplombant une barre rocheuse. On préfère une variante plus raide mais moins exposée, un couloir en plein cagnard que l’on remonte péniblement. Je commence à être bien cuit (double sens, par la fatigue et le soleil) et je progresse lentement. Je me fais doubler par Pilou, pourtant parti derrière moi. Antho lui est loin devant et nous attend en haut du couloir. Il a une sacrée caisse, rien ne l’atteint, il continu toujours au même rythme !


J’ai à peine le temps de souffler en haut du couloir que Antho est déjà reparti. Nous prenons quelque temps avec Pilou avant de rechausser les skis. Nous en sommes à 1600m D+. Une mauvaise surprise nous attend au départ, avec le soleil qui cogne, nos peaux « bottent » sur la neige, c’est-à-dire que la neige colle sur elle. Cela alourdi considérablement le ski (plusieurs kilos en plus) et empêche de le faire glisser. Comme si j’avais besoin de ça avec mes enclumes de 2.7kg chacun ! Autant dire que la suite se transforme en un véritable combat. La fatigue, les muscles raides et le soleil qui tape se lient contre nous. Mais c’est mal nous connaitre, on ne va pas abandonner pour autant !

C’est long, très long ! On contourne le Grenier de Villy (qui est le nom d’un sommet et non pas une ferme d’alpage) par une courte descente casse gueule, que l’on doit remonter juste après. Je suis totalement épuisé, chaque pas est une bataille, je me fais largement distancer par mes deux comparses. Je tache de me fixer un rythme et j’atteins le Col qui nous permet de rejoindre la voie normale du Buet. Si nous étions seul jusqu’à présent, nous changeons radicalement d’ambiance, le « Mont Blanc des Dames » attire les foules ! Si le sommet est techniquement facile d’accès, il faut quand même monter 1770m D+ et pas mal de kilomètres de plat pour y accéder, ca limite tout de même l’accès.

Le compteur de la montre indique 2150m D+, plus que 200m pour le sommet, allez on se motive ! Je vois que Pilou n’est pas si loin devant, lui aussi fatigue. Antho doit déjà être au sommet lui… Je continu lentement mais surement l’ascension. Je pense aussi à la descente, est-ce raisonnable dans cet état de fatigue de ce lancer dans une telle entreprise que le Grand Couloir W ? Pas sûr, il faudra qu’on en discute au sommet. Un sentiment de doute m’empare, est ce qu’on ne va pas au casse-pipe ? Je ne l’ai pas encore précisé, mais ce couloir est côté 5.3, soit un cran au-dessus de la descente de la veille, qui elle-même était la descente la plus difficile que je n’ai jamais réalisé. Bon, ça s’est bien passé hier et on avait de la marge, mais avec la fatigue et l’heure à laquelle on va commencer la descente, ça peut être une autre histoire. Le couloir est orienté W, donc prend le soleil plus tardivement, mais on risque d’y passer un bout de temps. Dans ma tête, je suis presque déjà décidé à descendre par un itinéraire plus facile. Mais on verra au sommet quand je serais plus lucide.

Pilou est aussi bien canné, je le rattrape finalement juste avant le sommet. Enfin, nous y sommes ! Antho est assis, tout sourire, il semble en pleine forme pour changer 😉. Le bonheur d’enfin arriver est immense, nous avons gravi 2350m de dénivelé dans un environnement qui était loin d’être facile, on peut être satisfait de nous. Bon, on aura tout de même mis 7h, il faut dire qu’il y avait aussi de longs passages plats. Je prends quelques photos avant de me poser, c’est la preuve que j’en ai encore sous le pied, non ? J’ai quand même les jambes en plomb. A 3098m d’altitude, le panorama est splendide sur toute la chaine du Mont Blanc et l’ensemble des massifs alentours.


Nous mangeons les maigres victuailles que nous avons emporté avec nous (on est parti un peu trop confiant avec quasi rien) et discutons de la stratégie à adopter. En faveur d’un abandon de la mission :

  • Fatigue conséquente, dans un environnement ou l’erreur peut avoir de graves conséquences.
  • Heure tardive (environ 15h) et neige qui chauffe au soleil ; risque d’avalanche qui serait canalisée dans le couloir, autant dire qu’on prendrait tout dessus.

A contrario, en faveur du respect du plan initial :

  • Une retraite par la voie normale serait facile, mais cela nous fait descendre à l’opposé de la où on est garé. Il y a 1h30 de voiture entre les deux parkings, autant dire qu’on n’est pas rentré et qu’il sera surement difficile de faire du stop avec les skis et de trouver des automobilistes allant jusqu’à notre parking de départ, surtout avec le couvre-feu en vigueur. Bref, on rentrerait sans risque, mais on ne sait pas quand et on risque l’amende > solution de dernière chance. Une autre possibilité serait de descendre le couloir du Lion, nous ramenant au parking, mais la problématique avalancheuse est la même, il est côté 4.3 donc pas si facile et surtout nous n’avons quasi pas d’information dessus. Enfin, on pourrait également redescendre par le même endroit, mais quelle galère ce serait… On a aucune envie de repasser par-là ! Vous l’avez compris, il n’y a aucun moyen simple de revenir à la voiture.
  • Orientation W, donc le soleil ne chauffe qu’en fin de journée, cela limite le risque même s’il est déjà tard.
  • On a fait tout ce chemin, ce n’est pas pour faire demi-tour ! Aucun de nous n’a envi de se refaire cette bambée une autre fois pour retenter notre chance.

Finalement, décision est prise de tenter notre chance dans le couloir. On est en février, le soleil ne tape pas aussi fort qu’au printemps, la neige devrait tenir. Même si on a repris un peu de force avec la pause au sommet, on sait qu’on a peu de marge. Nous nous engageons dans les larges et douces pentes ouest depuis le sommet, l’entrée du couloir se situe environ 500m plus bas. C’est à ce moment que je casse mon système de fixation de la GO PRO, tant pis pour les images… Je ne vais pas tenter de skier dans du 45° étroit avec la caméra à la main !

Antho et Pilou partent en explorateurs pour chercher l’entrée du monstre ; c’est très impressionnant vu d’en haut, les pentes sommitales plongent brusquement pour retrouver le fond de vallon, 1000m plus bas. Nous devons trouver le bon endroit, devant nous se trouve d’imposantes formations rocheuses, notre itinéraire se faufile entre eux. Après avoir hésité sur un passage trop à droite, Pilou et Antho confirme qu’ils ont trouvé le bon endroit, un peu plus à gauche et je les rejoins. Si le couloir se révèle ne pas être en condition il faudra tout remonter, je préfère ne pas y penser.


On commence à être dans l’ambiance, ça se raidifie et on passe par quelques passages exposés pour atteindre l’entrée du couloir. La neige n’est pas folichonne mais pas pire non plus. Nous avons à peine le temps d’enchainer quelques virages, que nous sommes déjà bloqués par une étroiture. Antho, qui à un très bon niveau de ski, part dedans les skis aux pieds. Nous le regardons galérer avec Pilou et prenons facilement la décision de descendre en crampons. On se forme une petite plate-forme et en effectue méticuleusement la transition. Il n’est pas si évident de faire des changements de matériel dans du 45° et on a aucune envie de laisser tomber quoi que ce soit. Antho est toujours dans les 10m difficiles, il nous avouera après coup avoir regretté d’avoir gardé les skis. Il s’en sort par un saut d’1 mètre (mais dans le 45° étroit ça impressionne plus) et nous attend un peu plus loin. Pilou part, j’attends qu’il passe les difficultés et qu’il se mette à l’abri avant de m’engager à mon tour. Lui qui est bon grimpeur ne semble vraiment pas à l’aise dans le bas du passage, ça promet.

Il finit par passer les difficultés, j’y vais. Le début est facile, puis le goulet devient de plus en plus étroit et la neige laisse place à de la glace et du rocher. J’arrive au-dessus d’un raidillon vertical de 2m techniquement pas évident avec un seul petit piolet de ski, deux piolets tractions n’auraient pas été de refus ! Après une bonne montée d’adrénaline, je fini par retrouver la neige. On remet les skis et on continu la descente, dans une ambiance tout à fait incroyable. Nous sommes cernés de part et d’autre par de hautes falaises que le soleil illumine d’une belle teinte dorée sur le dessus. Le couloir est sinueux, nous le découvrons petit à petit. En face, d’immenses falaises dorées complètent le tableau. Un « spindrift » commence à couler dans le couloir. Il s’agit de neige sollicitée par le vent sur les pentes surplombant le couloir qui s’écoule dans celui-ci. Cela renforce l’austérité du lieu. On va éviter d’y passer la journée.


Malgré la fatigue, mes jambes répondent encore bien et me permettent de conserver un ski assez précis – certes plus lent et surement moins esthétique que d’habitude, mais tant qu’on arrive en bas, c’est tout ce qui compte. Après pas mal de virages sautés, nous arrivons à une seconde étroiture qui nous demande encore une fois de mettre les crampons. Le topo annonce seulement 2 déchaussage nécessaire, serait-ce le dernier ? On espère ! Le ressaut n’est pas haut et se franchi sans trop de difficulté. Enfin c’est sans compter le spindrift qui se renforce de plus en plus, nous nous retrouvons sous une véritable cascade de neige, totalement aveuglé. Des sensations similaires à celle que l’on a en canyoning, c’est assez déconcertant. On ne traine pas dans ce passage ! En attendant Pilou qui passe en dernier, nous voyons avec Antho un caillou de la taille d’une chaussure dévaler le couloir dans notre direction. On se prépare à l’esquiver du mieux possible, mais gros coup de chance, le caillou, après un dernier rebond, atterri dans une lèvre de neige 3 mètres en amont. Ce n’est pas passé loin. Au-dessus de nous, les cascades de glace coulent à grosses gouttes avec la chaleur de l’après-midi. Bon, on ne va pas trainer ! On repart au plus vite, on enchaine bien. Mais on constate sans trop de surprise qu’il reste encore un ressaut à passer et pas le plus petit ! Environ 15m en glace raide. La désescalade n’est pas impossible, mais sans le matériel adéquat (nous n’avons qu’un petit piolet de ski chacun) l’entreprise s’annonce périlleuse, d’autant plus avec le risque de se prendre un parpaing sur la tête comme tout à l’heure…

On n’est pas non plus totalement inconscient, on avait prévu le coup et on sort la corde que l’on a emmené avec nous. Normalement on peut faire un alabakov (en gros, un trou) dans la glace à droite du couloir pour y fixer la corde, mais un coup d’œil en haut nous fait vite oublier cette option, l’ensemble de la cascade ruisselle abondamment et les stalactites sont menaçantes ; personne n’a envi de finir empaler. On utilisera donc la technique du corps mort, que l’on a souvent pratiqué en formation, mais jamais mis en pratique. On enfonce un rocher de la taille d’une grosse chaussure profondément dans la neige autour duquel on a noué une cordelette que l’on abandonnera sur place. L’aspect écologique ne nous importe pas tant sur l’instant. La cohésion de la neige empêche le rocher de bouger et nous permet d’y mettre tout notre poids. On fait passer la corde dans la cordelette et Antho part se lance en premier dans le rappel. Je vérifie le dispositif, la cordelette ne bouge pas, ça tient bien ! Pilou suit, puis je me lance. J’essaie d’être le plus doux possible, même si on sait que ce genre d’amarrage peut supporter de fortes charges, quand on à sa vie au bout du fil on n’essaie pas de tester les limites ! 15m plus bas, tout juste la longueur de la corde, nous arrivons en bas du ressaut. Le spindrift est encore plus puissant qu’auparavant et a créé une véritable cascade juste à notre droite, heureusement nous ne sommes pas en dessous. Normalement c’est la dernière difficulté, mais nous ne trainons pas ! Nous continuons la descente. Finalement, le couloir s’élargit, la pente devient de moins en moins forte et nous voyons le fond de vallon. Nous avons mis 2h pour descendre les 700m les plus durs. Il reste 300m, mais nous sommes normalement sortis d’affaire ! J’en profite pour souffler un coup, j’étais focus à 100% depuis le début et pas totalement serein.


Les pentes raides finales s’avalent sans soucis, puis nous arrivons dans le lit d’énormes coulées d’avalanche gelée qui rendent la progression extrêmement difficile ; on aura rarement autant galéré dans une coulée d’avalanche ; décidément la journée est interminable ! On passe bien 15 minutes (au lieu d’a peine 1 minute si la neige avait été bonne) pour s’en dépêtrer. Le soleil se couche devant nous, c’est beau mais la nuit ne va pas tarder et on n’est pas encore en bas. Nous n’avons plus d’eau depuis quelques temps, Pilou est à bout derrière, il est tout sec ! On sort finalement de la coulée géante, on doit désormais trouver notre chemin à travers une forêt de feuillus. On sait qu’on ne doit pas descendre trop bas, on essaie de rester le plus possible à iso pente. On remet les skis sur le dos pour remonter une cinquantaine de mètres, on rechausse et on atterri enfin sur un chemin carrossable enneigé, juste de l’autre côté d’un cours d’eau. Ce dernier qui mène directement aux Chalets des Fonds par lesquels on est passé à l’aller via une petite (dernière) montée. Nous faisons d’une pierre deux coup : on trouve notre chemin et de l’eau !


La suite, c’est comme à l’aller, on repasse les coulées d’avalanche en marchant, on descend en ski ce qui peut l’être, puis on marche jusqu’à la voiture… Le tout de nuit et sans frontale bien sûr. Nous les avions consciemment laissées à la voiture en se disant qu’en partant à 7h du mat’ c’est sûr qu’on n’en aurait pas besoin… Merci les téléphones portables d’être équipé d’une petite lampe !

Il est 19h30, après 12h30 de course, 2400m de dénivelé, 25km parcouru, 11 portages, le tout sur des terrains très variés, nous sommes enfin de retour à la voiture ; quelle journée ! Une belle réalisation, nous pouvons en être fière. C’est la première fois qu’on fait autant de manipulations, d’habitude on met 1, 2 voir 3 fois maximum les skis sur le sac. On admet tout de même sur le fait qu’on avait moins de marge que ce qu’on s’accorde d’habitude ; on va éviter de faire ce genre de sortie tous les WE ! Maintenant que la montagne nous a laissé repartir sain et sauf, encore faut-il braver le couvre-feu de 18h. Heureusement, on rentrera sans encombre à Annecy, le WE se termine bien. Ne reste plus qu’a prendre l’apéro avec les copains qui sont encore à l’appart et profiter d’un sommeil bien mérité ! Je suis tellement fatigué que je n’ai pas sommeil, je suis complétement à l’ouest le soir.

Ce que je ne sais pas encore, c’est que les copains reviendront le WE suivant, et que nous ferons l’ascension du Mont… Buet ! Deux Buet en 7 jours, qui dit mieux ? Avec Manon, Cyprien et Thomas nous emprunterons cette fois ci la voie normale, qui est également une grosse bambée : 1770m D+ pour 19km.

Je mettrais aussi 2 semaines avant de récupérer totalement… Et plus de deux mois à monter la vidéo que je vous propose ci-dessous 😉


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *